Je recopie ici intégralement ma chronique. A taille exceptionnelle, chronique exceptionnelle !! (dans sa longueur, bien sûr !)
Cet énorme pavé est constitué de cinq parties, que l'auteur voulait faire éditer séparément. Après sa mort, ses héritiers et éditeurs ont lu le manuscrit et décidé de ne pas respecter sa volonté et d'éditer 2666 en un seul volume.
Ceci explique le nombre de pages conséquent : plus de 1300 !
Un fil conducteur lie les cinq parties, de façon ténue, parfois même invisible, mais il est toujours présent : il s'agit d'un écrivain allemand, Benno von Archimboldi.
Dans la première partie, quatre universitaires, de quatre pays différents, tombent amoureux de ses romans. Ils font connaissance et deviennent amis, liés par cette passion et ce mystère. En effet, personne n'a jamais vu l'écrivain. Les universitaires essaient de le trouver et vont jusqu'au Mexique, où on leur a affirmé que leur écrivain se trouvait. Accessoirement, la ville de Santa Teresa, Mexique, fait l'objet d'un fait divers hors du commun : des centaines de femmes sont agressées, violées puis assassinées.
Cette partie est l'une des plus intéressante. Bolaño a un style efficace, direct, des phrases courtes, des paragraphes parfois longs, parfois courts. Pas de chapitres, juste des paragraphes. Dans chaque partie, on tombe sur une phrase si longue qu'elle dure plusieurs pages.
En lisant Bolaño, on ne peut s'empêcher de penser aux poupées russes : il part d'un fait, un événement, un détail, un personnage, décrit de façon détaillé ce qu'il fait, ce qu'il se passe, puis le personnage en rencontre un autre, et l'histoire enchaîne sur ce nouveau personnage, avec autant de détails que pour le précédent.
Il y a très peu de dialogues, beaucoup de dialogues retranscrits de façon indirecte (Untel a dit que, et Untel a répondu que).
La première partie est celle où le lecteur est le plus proche des personnages. Ils sont vivants, avec leurs défauts, leurs qualités. C'est la partie dans laquelle il y a le plus de dialogues. Malgré les nombreux séminaires et congrès littéraires qui égrènent cette partie et peuvent parfois lasser, ce début de roman est prometteur. L'action est longue à se mettre en place tant l'auteur se plait en digressions de toutes sortes, mais c'est agréable à lire.
La seconde partie retrace un bout de vie d'un personnage mexicain, que les universitaires ont croisé lors de leurs pérégrinations. Je n'ai personnellement pas aimé cette partie, heureusement la plus courte des cinq. C'est assez ennuyeux, il ne s'y passe pas grand-chose. Le roman pourrait sans problème se passer de cette partie. Le seul intérêt est l'histoire de la femme de ce personnage. Cette dernière est folle et, persuadée qu'elle connait intimement un grand poète, décide de partir pour l'aider à se sauver de l'asile dans lequel il est enfermé.
La troisième partie suit l'enquête d'un journaliste noir. Parti à Santa Teresa couvrir un match de boxe, il découvre la triste réalité des assassinats de jeunes femmes, et tente d'enquêter.
Une des particularités du roman de Bolaño est que, pour chacune des cinq parties, la fin n'en est pas une. Que devient ce journaliste ? On ne le saura pas.
Cette partie n'est pas inintéressante en soi, mais la partie suivante l'a bien vite occultée.
La quatrième partie, la plus longue, liste de façon assez brutale, tous les crimes perpétrés à Santa Teresa. On y lit avec stupeur, dégoût, jusqu'à l'écoeurement même, les violences faites aux victimes, la répétition des agressions, le détail des morts (j'ai découvert l'existence de l'os hyoïde, et son importance...) . On lit l'impuissance de la police mexicaine à élucider ces crimes qui se passent dans les années 90, l'impuissance mais également l'incompétence, volontaire ou non.
Puis un homme est finalement arrêté. Un allemand qui clame son innocence. Les crimes continuent bien qu'il soit en prison.
Lire une telle litanie de meurtres a un effet quasi hypnotique sur le lecteur. Heureusement, pour éviter que le lecteur se lasse et abandonne, Bolaño entrecoupe sa liste morbide, de temps en temps, de petits paragraphes sur un personnage, sur le présumé meurtrier, sur une députée, sur les médecins légistes.
C'est une lecture à la fois déplaisante par l'aspect froid et méticuleux dans lequel sont rapportés les crimes, et à la fois envoûtante, peut-être pour la même raison.
La dernière partie ne se passe plus dans les années 1990, mais commence en Allemagne, dans les années 20. Cette partie s'intitule "La partie d'Archimboldi" et retrace la vie du futur écrivain. Avec toujours quantités de digressions en tout genre, Bolaño raconte l'enfance, la vie militaire, la folie de certains personnages, la naissance d'un écrivain. On suit Archimboldi dans toutes ses errances.
L'écriture de Bolaño est assez déstabilisante dans le sens où il va détailler à l'excès certaines scènes, et, a contrario, en dire le moins possible sur les pensées de son personnage, sur certains pans entiers de sa vie.
Il va de soi que se lancer dans la lecture de cet énorme pavé ne doit pas se faire à la légère. On peut vite se lasser, ou ne pas adhérer au style parfois déroutant de l'auteur. Il faut se sentir prêt à lire quelque chose d'assez inattendu, parfois violent, cruel, parfois bavard, parfois non, instructif, truffé d'anecdotes, de réflexions, de personnages de toutes sortes. Bref, une lecture enrichissante, forte, qui laisse une trace dans les souvenirs d'un lecteur.
Ce roman fait partie de la liste que je vous avais présentée : Les 1001 livres qu'il faut avoir lus dans sa vie.
Bon, faut-il vraiment l'avoir lu ? Oui, pour sa démesure, son style particulier, probablement.
"Encensé par la critique internationale comme l'événement littéraire de ce début de siècle...", lit-on en 4e de couverture : oui, c'est sûr, c'est un événement. 1300 pages, pensez !! Et qu'on arrive même à terminer !!
Ce dont je me souviendrai : la liste des meurtres, écoeurante, hypnotique et le style "poupées russes". Pour le reste, l'intrigue en elle-même (assez ténue), pas sûre du tout de m'en souvenir...
Personnellement, je ne le conseillerai pas d'emblée, même à des "gros" lecteurs. Mais attention : je ne dis pas que ce roman n'est pas intéressant ! Il est vrai que quelques centaines de pages en moins lui ferait beaucoup de bien.
Bolaño a écrit un autre roman "encensé par la critique", "les détectives sauvages". Il ne fait "que" 937 pages. Je ne suis pas sûre de le lire un jour... _________________ On ne sait jamais ce que notre malchance nous a évité de pire. Cormac McCarthy
Dernière édition par Marquise le Dim Oct 30, 2011 10:42 am; édité 1 fois
Merci pour ta chronique et le développement que tu fais derrière.
Je t'avoue que finalement je ne suis pas mécontente de ne pas l'avoir lu Ca a l'air assez déstabilisant comme écriture, comme histoire, et autant dans un court roman ça peut être une expérience à faire autant pour un pavé ça me semble plus compliqué, à titre personnel du moins.
En somme ce n'était pas ce à quoi je m'attendais visiblement, et je crois bien que je ferai l'impasse _________________ “Un livre n'est pas seulement un ami, il vous aide à en acquérir de nouveaux. Quand vous vous êtes nourri l'esprit et l'âme d'un livre, vous vous êtes enrichis. Mais vous l'êtes trois fois plus quand vous le transmettez ensuite à autrui.”
Inscrit le: 16 Mai 2009 Messages: 3029 Localisation: Loire
Posté le: Mar Avr 12, 2011 5:39 pm Sujet du message:
Ce n'est pas du tout une question idiote, je me la suis posée pendant toute ma lecture.
Rien ne l'explique dans le roman (ou alors c'est tellement bien caché que je ne l'ai pas vu..) mais heureusement, dans une note en fin de livre, Ignacio Echeverria (son éditeur) écrit ceci :
Citation:
Et puis il y a le titre. Ce chiffre énigmatique, 2666 - une date, en réalité [...]
Puis il cite un extrait d'un roman précédent de Bolaño, Amuleto :
[...] à cette heure-là Guerrero [le nom d'une avenue] ayant avant tout l'allure d'un cimetière, mais pas un cimetière de 1974, ni un cimetière de 1968, ni même un cimetière de 1975, mais un cimetière de l'année 2666, un cimetière oublié sous une paupière morte ou inexistante, les aquosités indifférentes d'un oeil qui en voulant oublier quelque chose a fini par tout oublier.
_________________ On ne sait jamais ce que notre malchance nous a évité de pire. Cormac McCarthy
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6326 Localisation: Sud
Posté le: Mar Avr 12, 2011 7:10 pm Sujet du message:
Ah bien, merci :-). Et au vu de cet échantillon du style, je suis contente de ne pas avoir eu à me farcir ce pavé ^^. _________________ Même le soleil se couche.
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