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Posté le: Jeu Oct 16, 2008 9:45 pm Sujet du message: Leçons du monde fluctuant - Jérôme Noirez
Leçons du monde fluctuant Jérôme Noirez
Résumé :
Charles Lutwidge Dodgson, révérend, photographe amateur et professeur
de mathématique à l'université d'Oxford, n'a jamais songé à prendre pour
pseudonyme Lewis Carroll. D'ailleurs, il n'a jamais songé à écrire des
contes pour enfants. Mais il a rêvé d'Alice, trop sans doute, plus que
la société n'est prête à tolérer? Le voilà contraint de s'embarquer pour
Novascholastica, une colonie anglaise entre Afrique et Océanie, avec
pour seul compagnon d'infortune un "noir pénitent", mage d'état chargé
d'une besogne indicible... A Novascholastica, colons, indigènes, bêtes
et entités fraternisent par-delà la mort; une situation contre nature à
laquelle il serait bon de mettre un terme. Ce qui n'est pas vraiment le
problème de Charles qui a ses propres chimères photographiques à
poursuivre...
Mon avis :
Je copie ici l'avis posté sur le forum Griffe d'encre. Je crois qu'il n'y a pas encore de sujet consacré à ce livre : sinon, toutes mes excuses
Terminé ce soir ! Une bien belle lecture, mais dans le détail, je ne sais pas bien quoi en penser...
Cet avis contient quelques spoilers sur l'univers ; les spoilers sur l'intrigue les plus importants sont masqués par balise "spoiler".
Ma principale inquiétude, à savoir le traitement des "penchants" de Dodgson, s'est révélée complètement injustifiée : comme d'habitude, Noirez arrive à traiter avec neutralité et justesse des sujets où il serait très facile de glisser dans le scabreux ou le mauvais goût. Dodgson a des penchants qu'il sait coupables et dans le même temps c'est une sorte d'amoureux romantique doublé d'un admirateur de l'enfance - sans que l'un des trois éléments ne prenne le pas sur les autres. Le résultat est nuancé (autant que dans la réalité de Lewis Carroll, je présume, même si ce n'est pas vraiment le sujet ici) et Dodgson est plutôt un personnage attachant. J'ai été parfois un peu agacé par son air toujours persécuté et dépassé par les événements, mais
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il prend heureusement plus d'assurance vers la fin
.
Jab Renwick a mis plus de temps à me convaincre. Sa biographie est pleine d'idées originales (à commencer par sa naissance) mais il m'a trop rappelé les méchants de Féerie pour les ténèbres. Pourtant, une fois le livre fini, j'avoue : je l'ai aussi trouvé sympathique, même s'il est sadique, cruel et détestable en tout point, plus que les rioteux. Là encore, je trouve que le dénouement
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nuance beaucoup de choses (ses motivations en particulier).
J'oublierais presque Kematia, et du coup je me rends compte que
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son rôle devient bien moins important dans la fin du livre - elle ne participe à aucun élément-clé du dénouement, finalement...
C'est dommage, on pouvait attendre bien plus
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après la grande scène de "libération" sur la falaise
.
L'univers en général me laisse aussi sur une impression de demi-teinte. Avouez : le Lankolong est bien plus intéressant qu'Oxford et New Oxford ! Le monde des vivants ne se définit que par le principe de base de l'Educaume : l'éducation est reine (littéralement), la connaissance est divinisée et, en gros, nous nous trouvons dans une variation sadique sur le système scolaire. Ce qui pourrait donner lieu à des choses originales (et de fait il y a plein de petits détails très bien trouvés, comme
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les interrogations orales à la place du contrôle de billets dans le train
), mais finalement, de la première à la dernière page, l'ensemble reste très monolithique : l'Educaume d'Angleterre est un Etat méchant, très méchant. Et il y a plein de choses qui, à la fin, ne sont pas complètement explicitées,
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sur ses motivations, et sur ce qu'essayaient vraiment de faire les "comploteurs" de New Oxford (on sent qu'il sont derrière les gutums, mais ça pourrait être plus clair).
Je trouve dommage que, si Jab Renwick est finalement très nuancé, les autorités de l'Educaume n'aient pas de meilleure motivation que "on est méchants, très méchants". D'accord, ils sont persuadés que le salut est dans le savoir etc., mais je reste moyennement convaincu.
Le Lankolong, par contre, est beaucoup plus intéressant, très riche, composite, bourré de trouvailles... ce qui fait regretter que Noirez ne donne pas plus d'aperçus des autres au-delà, qu'il présente comme infiniment nombreux et variés : à voir ce qu'il fait avec celui-là, qu'est-ce que ça aurait donné avec les autres ! Ce qui m'intéresserait bien aussi, ce serait de savoir de quelles cultures il s'est inspiré pour les peuplades de Novascholastica : il y a visiblement des recherches là-derrière, mais ma culture sur le sujet est encore bien trop limitée pour distinguer les références au monde réel et les éléments inventés...
A vue de nez, il me semble que l'avantage et l'inconvénient du livre est que c'est un livre "myope" : le détail est très travaillé, mais la structure d'ensemble est trop floue et incertaine. Si on juge de Leçons du monde fluctuant avec les critères d'un roman de fantasy moyen "à la thriller" (ce qui serait idiot, parce que ce n'est visiblement pas ce que cherche à faire l'auteur, mais bon), on doit pouvoir trouver pas mal de faiblesses de structures au scénario : l'intrigue démarre très lentement, les différents personnages suivis se rencontrent un peu tard dans le livre, et le dénouement arrive trop vite (le tout avec un peu trop d'interventions du hasard, même s'il ne fait pas toujours bien les choses, loin de là).
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Le "méchant" principal, le professeur Brewster, n'est pas vraiment présenté comme tel avant son apparition, et inversement les personnages de méchants qu'on connaissait déjà disparaissent (les comploteurs de New Oxford) ou se retournent un peu vite en gentils (Jab Renwick).
En même temps, cette faiblesse est aussi la principale force du livre : dès qu'on ne lit plus dans la perspective d'une intrigue haletante, et qu'on se laisse prendre à suivre les errances de Kematia et compagnie dans le Lankolong, ou les déboires de Dodgson sur la route de Novascholastica, tout devient vraiment savoureux. L'écriture de Noirez est impressionnante de soin, le vocabulaire est très recherché sans pour autant devenir une gêne à la lecture ; on y retrouve la même "neutralité" que dans Féerie pour les ténèbres, qui devient ici une amorce idéale à toutes sortes de traits d'humour pince-sans-rire assez british. Visiblement Noirez s'amuse à placer ses personnages dans les situations les plus improbables possibles, ce qui installe progressivement un climat bien distinct de celui de Féerie et peut-être finalement moins sombre, où l'absurde prend davantage de place. Beaucoup de scènes sont mémorables, beaucoup de personnages aussi (
Spoiler:
Wilfred-Hudson-avec-cerf-inclus est probablement mon préféré
), et on assiste à des échanges de répliques bien frappés (parfois aux deux sens du terme).
Quelque part, ce serait injuste de reprocher au livre d'avoir une structure trop incertaine, puisqu'il s'agit du monde fluctuant, mais je pense que le résultat aurait été encore meilleur si Noirez s'était complètement libéré de la "logique de suspense" qui sous-tendait Féerie pour les ténèbres (et qui marchait très bien). Certains éléments (le Noir qui s'écrie "gutum" en voyant Dodgson, par exemple) donnent à penser que l'auteur va petit à petit dévoiler tous les tenants et aboutissants de l'univers et de l'intrigue, comme c'était le cas dans Féerie..., mais j'ai l'impression que plus on avance, plus on s'éloigne de cette logique-là. La fin semble confirmer ce changement de logique :
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pas de grand final en Londres envahie par des morts vengeurs (ce qui aurait été plus prévisible, d'ailleurs), mais une fin ouverte qui laisse chacun retourner à son destin particulier... avec ce désavantage que l'Educaume et ses principes sadiques s'en sortiront, finalement, à peu près intacts !
Je n'ai pas envie de dire que je préfère Féerie pour les ténèbres aux Leçons, parce que visiblement les deux livres ne cherchent pas la même chose. Féerie a le triple avantage : il est plus "fini" dans sa structure avec un univers et un scénario construits plus rigoureusement ; il recourt à un univers radicalement original, donc plus marquant, là où Leçons peut apparaître comme une simple variation mystico-fantastique sur une uchronie sombre vaguement steampunk ; et surtout c'étaient les premiers romans de l'auteur, qui ont fait découvrir son univers et sa "patte", tandis que Leçons ne bénéficie plus de cet effet de surprise. Et puis il y a quand même quelques petites choses, comme le couple petite fille + chien monstrueux, qui rappellent Féerie, en forcément moins bien puisque Grenotte a l'antériorité :tongue2:
Mais Féerie... recourait à des ficelles relativement classiques du point de vue de l'intrigue et de l'écriture à suspense, tandis que Leçons s'affranchit de la sacro-sainte trilogie et paraît rechercher autre chose de plus original. J'y vois plutôt un roman d'atmosphère, qui vaut surtout par sa capacité à nous plonger dans un au-delà très différent des conceptions classiques que l'on s'en fait, et à développer une histoire où la plupart des personnages sont déjà morts. Ce n'est déjà pas rien.
PS : ah oui, j'oubliais les références à Alice et compagnie. Il n'y en a pas trop, et je trouve que ce n'est pas plus mal : ça aurait été un peu trop prévisible. La reconstruction de parallèles assez lointains (Kematia/Alice, par exemple) fonctionne très bien sans en rajouter.
Spoiler:
Ce en quoi la toute fin m'a légèrement déçu, mais sur le reste du libre ça marche bien.
Après, je me demande s'il y a des références à des écrits moins connus de Carroll, en particulier ses ouvrages de logique ou de mathématique, mais comme je ne les connais pas, je n'ai pas pu voir d'éventuelles références...
Inscrit le: 30 Juin 2004 Messages: 5671 Localisation: Physiquement : Cergy, France. Mentalement : MIA
Posté le: Ven Oct 17, 2008 6:56 am Sujet du message:
Il ne serait pas mieux en Fantastique ? _________________ Crazy Modératrice et Dictatrice Adjointe Il ne faut pas confondre ce qui est personnel et ce qui est important (Terry Pratchett)
J'ai un blog, et maintenant, j'ai publié un roman
Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Ven Oct 17, 2008 10:12 am Sujet du message:
J'ai hésité, je suppose que ça se discute... le cadre général est quand même une uchronie steampunk. Certes, ça parle pas mal d'au-delà et de gens morts (mais pas complètement, enfin ça dépend... bref), mais il y a pas mal d'esprits animaux qui rappelleraient presque Mononoke (mais en pas pareil). Ah, et la tonalité est moins franchement horrifique que Féerie pour les ténèbres (du moins à mon humble avis). Si un modo veut déplacer le sujet, pourquoi pas, hein, moi je renonce à essayer de classer
Posté le: Ven Oct 17, 2008 10:25 am Sujet du message:
Merci pour ton avis, Tybalt.
Je l'ai sur ma pile de lecture et une fois lu je pensais bien en parler ici. Ce n'est pas parce qu'un livre se situe dans notre bon vieux monde que ce n'est pas de la fantasy. Laissons le ici en fantasy/imaginaire.
Pour revenir au livre même, je pense d'abord lire Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll avant d'attaquer le Jérôme Noirez.
Inscrit le: 30 Juin 2004 Messages: 5671 Localisation: Physiquement : Cergy, France. Mentalement : MIA
Posté le: Sam Oct 18, 2008 11:02 pm Sujet du message:
La fantasy urbaine, on la range en Fantastique d'habitude
_________________ Crazy Modératrice et Dictatrice Adjointe Il ne faut pas confondre ce qui est personnel et ce qui est important (Terry Pratchett)
J'ai un blog, et maintenant, j'ai publié un roman
La fantasy urbaine est une des nombreuses branches de la fantasy. C'est une erreur de l'assimiler au fantastique. D'ailleurs, Jérôme Noirez parle d'un roman de fantasy lewis-carrollienne sur son site (et je rappelle qu'Alice au Pays des Merveilles est aussi classé en fantasy/imaginaire).
Pour la catégorisation de la fantasy urbaine, je t'invite à lire un petit ouvrage consacré à la fantasy : Cartographie du Merveilleux d'André-François Ruaud. Je te cite quelques passages :
Citation:
On peut considérer Moonheart comme la première pierre de ce qui va devenir un important sous-genre de la fantasy : la "fantasy urbaine". (p.74)
[...] et permettre l'épanouissement de la "fantasy urbaine" en une nouvelle branche du genre. (p.75/76)
Au fil des années 1990, la "fantasy urbaine" devient une composante essentielle du domaine. (p.77)
La fantasy urbaine fait même tellement partie du paysage du genre à la fin des années 1990 que des autrices médiocres [...] s'y risquent. (p.77/78)
Inscrit le: 12 Avr 2006 Messages: 5856 Localisation: deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin...
Posté le: Mer Oct 14, 2009 6:13 pm Sujet du message:
Enfin fini ! Ma conclusion : Bof.
J'ai eu du mal à tenir, je n'accrochais pas du tout ni à l'histoire ni aux personnages.
C'est loufoque mais je n'ai pas trouvé ça attractif pour deux sous. Je comptais les pages, c'est tout dire... _________________ Il s’évanouit tout doucement à commencer par le bout de la queue,
et finissant par sa grimace qui demeura quelque temps après que le reste fut disparu.
Posté le: Sam Sep 18, 2010 9:31 am Sujet du message:
Alors, j'ai vraiment aimé.
Bon déjà j'adore tout ce qui touche à Lewis Caroll (si vous voyiez mon thème de bureau...le lapin d'Alice de Tim burton )...Mais ce roman m'a de toute façon enchantée.
J'aime bien cet univers un peu dingue du monde des morts, et je trouve que l'idée de
Spoiler:
morts qui peuvent encore mourir et se réincarner en termites ou en brin d'herbe est géniale.
J'ai bien aimé aussi le personnage de Charles Dodgson et ses "obsessions" (avérées, en plus, si j'en crois sa véritable biographie), ne sont pas vraiment douteuses, plutôt celles d'un vieil enfant qui n'a jamais quitté le monde de l'enfance. Enfin, c'est comme ça que je l'ai ressenti.
La petite Kématia elle-aussi est attachante, et que dire du méchant, de Renwick, le noir précepteur: bien!
C'est un univers dans lequel il faut entrer, c'est vrai, c'est un univers plus onirique que fantastique, mais on s'y fait très vite et ce monde, que je trouve très poétique, nous manque quand on le quitte.
Seul bémol: y-a-t-il vraiment une histoire?...Plutôt un voyage initiatique, à mon avis.
Je recommande !
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6326 Localisation: Sud
Posté le: Sam Sep 18, 2010 12:15 pm Sujet du message:
Je ne suis pas arrivée à le lire, et j'ai renoncé. Bon, il est vrai que l'univers "Carrollien" ne me parle pas vraiment non plus... _________________ Même le soleil se couche.
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