L Hellreader
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Posté le: Ven Fév 29, 2008 5:09 pm Sujet du message: Révolte et mélancolie: Le romantisme à contre-courant de la modernité - Michael Löwy et Robert Sayre |
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Révolte: Rébellion, soulèvement contre l'autorité établie.
Mélancolie: Tristesse vague, dégoût de la vie, humeur sombre.
(Le petit Larousse illustré)
De nos jours, deux termes qui font doucement rire, quand ils n'évoquent pas une certaine absurdité. Deux termes antagonistes dans la forme qu'ils donnent à la flamme qui tient éveillé depuis plus de deux siècles les écorchés, mais qui pourtant la rendent, hier comme demain, attirante, brillante, brûlante. La flamme du Romantisme s'est allumée, et elle ne s'est pas encore éteinte.
Avec ce bouquin, Michael Löwy et Robert Sayre, sociologues, tentent de donner une définition nouvelle au Romantisme, élargissant au possible son concept.
éd. Payot; 28€; 303 pages.
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Indiquons tout d'abord en deux mots l'essence de notre conception: selon nous, le romantisme représente une critique de la modernité, c'est à dire de la civilisation capitaliste moderne, au nom de valeurs et d'idéaux du passé (pré-capitaliste, pré-moderne). On peut dire que le romantisme est, depuis son origine, éclairé par la double lumière de l'étoile de la révolte et du "soleil noir de la mélancolie" (Nerval). (p.30)
C'est en ces termes que les auteurs donnent forme au Romantisme. Je parle de Romantisme et non de mouvement romantique, pour ne pas faire l'amalgame avec ce que nous avons avons l'habitude de nommer ainsi: Un mouvement principalement littéraire, mais globalement artistique, que nous situons dans la première moitié du XIXème siècle. Moi même, j'avais tendance à enfermer le Romantisme dans ce carcan, l'assimilant à un courant passager dont les principaux acteurs auraient été, en France, Lamartine, Vigny, Musset, Stendhal, Hugo, Baudelaire (malgré lui), Nerval, Chateaubriand, et d'autres. Si Révolte et mélancolie m'a laissé sceptique sur certains points, la façon dont il met en lumière un Romantisme qui ne se borne pas à un mouvement éphémère m'a totalement séduit.
Ainsi, leur définition me parait intéressante et pertinente. L'opposition à la civilisation moderne est le dénominateur commun, c'est certain. Maintenant, la façon d'ériger cette opposition est multiforme, selon le contexte social, selon les armes dont on dispose, selon le message que l'on cherche à faire passer.
Pour donner consistance à leur vision les auteurs vont, au sein de sept chapitres (Qu'est ce que le romantisme? Une tentative de redéfinition / Diversité politique et sociale du romantisme / Excursus: Marxisme et romantisme / Visage du romantisme au XIXème / Le feu brûle toujours: Le romantisme après 1900 / Visage du romantisme au XXème siècle / Le romantisme aujourd'hui), procéder à une étude socio-philosophique du thème. Et....c'est lourd.
Formellement, j'ai trouvé ça assez indigeste. Si le sujet ne m'avait pas passionné, je ne sais pas si j'aurais tenu le coups (Mais peut-être est-ce car je suis pas habitué à ce type de lecture). Les auteurs noient le lecteur dans une mer de références foisonnantes (littéraires et historiques), parfois redondantes, mais souvent uniques. Il devient donc difficile de rester accroché. De plus, Löwy et Sayre semblent avoir de profondes connaissances concernant l'Allemagne, et tout le bouquin se nourrit de cela, laissant, m'a-t-il semblé, une place de trop grande envergure aux révoltés d'Outre-Rhin (Bien que cela m'ait permis d'en apprendre beaucoup sur des personnes que je ne connaissais, soit que de nom, soit pas du tout).
Ainsi, si la forme est rebutante, le fond, lui, est passionnant. Les auteurs explorent, au travers d'exemples précis, la façon dont le Romantisme s'est manifesté de la moitié du XVIIIème siècle à aujourd'hui. Artistiquement, politiquement et philosophiquement. J'avoue que le premier des points de vue était celui qui m'intéressait le plus, bien que souvent les un se mêlaient aux autres. De Rousseau à Ernst Bloch, en passant par le Marxisme, la Révolution française, les révolutions industrielles, mai 68,les auteurs nous peignent un paysage étoffé et ô combien coloré du Romantisme. Ces couleurs ont de nombreuses teintes, mais Löwy et Sayre se sont appliqués à les définir: restitutionniste, conservateur, fasciste, résigné, réformateur, révolutionnaire et/ou utopique. Il est donc clair que la simplicité n'est pas de mise concernant le Romantisme. Révolte et mélancolie nous le prouve.
Il ressort de tout ça que le Romantisme est complexe car aux nombreuses facettes (contradictoires), mais qu'il est un feu toujours présent qui n'aura de cesse de brûler tant que la modernité croira en sa toute puissance, et tant que les Hommes croiront aveuglément en la modernité.
L'imaginaire est selon moi l'une des plus puissantes armes du Romantisme. L'imaginaire, mais aussi ce mélange de désespoir et de colère qui fait que, malgré tout ce que Babylone pourra offrir, jamais nous ne courberons l'échine.
Lettre à Eva (extrait)
Si ton coeur, gémissant du poids de notre vie,
Se traîne et se débat comme un aigle blessé,
Portant comme le sien, sur son aile asservie,
Tout un monde fatal, écrasant et glacé ;
S'il ne bat qu'en saignant par sa plaie immortelle,
S'il ne voit plus l'amour, son étoile fidèle,
Eclairer pour lui seul l'horizon effacé ;
Si ton âme enchaînée, ainsi que l'est mon âme,
Lasse de son boulet et de son pain amer,
Sur sa galère en deuil laisse tomber la rame,
Penche sa tête pâle et pleure sur la mer,
Et, cherchant dans les flots une route inconnue,
Y voit, en frissonnant, sur son épaule nue
La lettre sociale écrite avec le fer ;
Si ton corps, frémissant des passions secrètes,
S'indigne des regards, timide et palpitant ;
S'il cherche à sa beauté de profondes retraites
Pour la mieux dérober au profane insultant ;
Si ta lèvre se sèche au poison des mensonges,
Si ton beau front rougit de passer dans les songes
D'un impur inconnu qui te voit et t'entend :
Pars courageusement, laisse toutes les villes ;
Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin ;
De haut de nos pensers vois les cités serviles
Comme les rocs fatals de l'esclavage humain.
Les grands bois et les champs sont de vastes asiles,
Libres comme la mer autour des sombres îles.
Marche à travers les champs une fleur à la main.
Alfred de Vigny _________________ Brise et ruine d’abord ce monde, nous verrons si l’autre surgit ensuite |
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