Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Dim Juil 04, 2010 12:02 pm Sujet du message: Des nouvelles du Tibbar - Timothée Rey
Commençons par la quatrième de couv', histoire de faire les choses bien :
Citation:
Voici, en exclusivité, des nouvelles fraîches du Tibbar Occidental. Sur ce bout de continent, jadis, des dieux fantasques, depuis longtemps repartis, ont éveillé les deux sortes de magie, la haute et la basse. Depuis, ce monde a développé une civilisation où l’on envoie des aérohamsters postaux ; où l’on cuisine du dragon (le plus raffiné des mets, quoiqu’on le déguste à ses risques et périls) ; où l’on tente de se vacciner contre des sortilèges-virus par l’écoute de musiques prophylactiques ; où l’on dérobe l’avatar d’un dieu tomate à ses féroces zélateurs ; où l’on va demander de l’aide au gardien d’une forêt du Carbonifère, nichée à l’intérieur d’un énorme diamant... En douze récits tour à tour narquois, baroques ou émouvants, partez à la découverte du Tibbar !
Ils sont contrôleurs d’autobus, profs de magie, bouffons, barmen, gardiens de musée, moines fanatiques, pirates, V.R.P., bâtisseurs de digues, ninjas, musicologues, ouvriers textiles, directeurs de casino, sibylles, nobles désœuvrés, bûcherons débardeurs… Ce sont les protagonistes d'un imaginaire entre conte de fées et satire sociale, servi par une écriture riche, précise, qui ne dédaigne pas à l’occasion de rendre hommage au western spaghetti, au cinéma de Hong Kong ou à celui de l’âge d’or d’Hollywood.
Des nouvelles du Tibbar, c'est donc un recueil de nouvelles (paru aux Moutons électriques) qui se déroulent toutes dans un même univers, le Tibbar, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est fantasque, exotique et haut en couleurs. Je l'ai terminé ce matin (après avoir bien pris mon temps pour le lire, autres lectures simultanées obligent) et j'ai beaucoup aimé.
Pour vous donner une idée, je dirais que c'est quelque part entre Jack Vance (pour les peuples exotiques et les péripéties enlevées façon Cugel), Terry Pratchett (pour le mélange d'humour décapant et de ressorts dramatiques sérieux dans un univers qui, lui, ne se prend pas au sérieux) et Lewis Carroll (pour les néologismes jouissifs). L'auteur s'est visiblement fait plaisir en créant son univers, et ce plaisir est communicatif, ne serait-ce qu'à la lecture des cartes géographiques (très détaillées) qui ouvrent l'ouvrage : de l'Océan Tintinnabulant Arctique aux Monts Croustillants, en passant par Ongle, Marasme, les Deux-Ablettes ou la Mer des Sarcasmes, il y a de quoi se régaler entre les jeux de mots et les noms aux sonorités à la fois très "conte de fée" et éminemment francophones (ça change des Eowlyglïnglanglaurunglyyyn, Aeaeae et autres Deepwater). Bref, on est rapidement dans l'ambiance.
L'univers du Tibbar est riche, dense, détaillé, foisonnant - presque trop au début. L'auteur n'a rien laissé dans l'ombre, que ce soient la géographie, l'histoire des différents pays, les peuples, la faune et la flore, la mesure du temps et des longueurs... et il ne prend pas nécessairement la peine de tout détailler par le menu. Du coup, le lecteur qui attendait une description claire de ce qu'est un Mafflu, un houle-bec ou un tnufle risque de rester sur sa faim. L'univers se constitue par petites touches, on accumule les informations au fil des textes. Je pense que c'est un parti pris, que l'on peut critiquer ou non. De mon côté, j'ai eu un peu de mal avec certains passages un peu trop plein d'allusions partant dans tous les sens, mais ensuite ça va rapidement mieux, et il m'a semblé aussi que les nouvelles gagnent en cohérence et en maîtrise de ce point de vue au fil du volume.
Qu'on se rassure, ça n'empêche nullement de profiter de l'univers, au contraire. La nouvelle qui ouvre le recueil, Sur la route d'Ongle, est une parfaite entrée en matière : un bout de chemin en... bus, où l'on voit se presser toute la diversité des peuples du Tibbar, et où on a un aperçu réjouissant de la vie quotidienne, qui n'est pas de tout repos. Le ton est assez "pratchettien", mais trouve peu à peu son style propre.
La deuxième nouvelle, Mille et mille surgeons du Foisonneur, est celle qui souffre le plus à mon avis du défaut de foisonnance excessive dans les passages de voyages. Cela n'empêche pas de profiter de la nouvelle, originale, qui nous fait découvrir les Sylvains, esprits gardiens des forêts du Tibbar, et qu'on recroise par la suite, en particulier dans Le Tronc, la Grume et le Fluent, qui, comme le titre l'indique, est un hommage - réussi - aux westerns de Sergio Leone.
Lacnae B'Asac, texte plus sérieux et plus dramatique, nous plonge dans les intrigues politiques et les affaires des magiciens, et montre avec succès que le Tibbar ne se résume pas à ses aspects humoristiques, loin de là. Dans l'antre du Sanguinaire retourne à un ton plus léger, pour un texte court, typiquement "nouvelle", avec sa chute inattendue et originale. Y répond, un peu plus loin, Magma Mia ! les deux textes traitant des dragons du Tibbar - les efafnrs - de deux façons très différentes.
Entre les deux vient Ce qu'il advint des ravisseurs de la Tomate chantante. Le titre laisse penser à un texte purement humoristique, de même que le pitch, d'ailleurs : un groupe de voleurs dérobe un dieu-tomate à ses adorateurs. Mais laissez-moi vous dire que c'est beaucoup, beaucoup plus inquiétant que ça n'en a l'air. C'est d'ailleurs tout l'intérêt de ces Nouvelles du Tibbar : osciller en permanence entre la light fantasy la plus débridée et un ton grinçant, inquiétant, voire franchement sombre. Et ça marche très bien.
Ce qu'il faut dire aussi, c'est que, humour ou pas, l'écriture de Timothée Rey est soignée et témoigne déjà d'une maîtrise certaine. Le style brasse allègrement les tournures familières des paroles des personnages, l'usage de la narration au présent ou au passé composé, de tournures orales, etc. et des descriptions au vocabulaire très riche, parfois empreintes d'une réelle poésie. L'écriture, à mon avis, n'a pas grand-chose à envier à celle d'un Jean-Philippe Jaworski sur le plan de la maîtrise de la langue et de la recherche stylistique. A cette différence que Timothée Rey n'a pas systématiquement recours aux grandes orgues et à l'épique sérieux : son approche est plus ludique, plus hybride, mais nullement moins ambitieuse.
J'avais beaucoup aimé la première moitié du recueil, mais j'ai été définitivement scotché par la seconde. A partir de Suivre à travers le bleu cet éclair puis cet ombre, un superbe récit d'espionnage magique au souffle incontestable (au point qu'on regretterait presque qu'il n'ait pas donné lieu à un roman ou à une novella), le recueil prend un ton plus sérieux, plus épique et plus poétique, en même temps qu'il devient plus franchement novateur sur le plan du texte lui-même. Les sortilèges de Suivre à travers le bleu cet éclair puis cet ombre donnent ainsi lieu à des innovations typographiques d'un très bel effet.
Jeunes sirènes lascives pour matelots bourrus nous fait franchement basculer dans l'horreur, en nous mettant aux prises avec un sortilège particulièrement retors. Mon père, ce bouffon au sourire si torve et Deux hougôlouns dans le vent du soir donnent au recueil une conclusion grandiose, ces deux nouvelles étant particulièrement abouties sur le plan du style et de la maîtrise du récit : le Tibbar y trouve définitivement son atmosphère propre et apparaît dans toute sa splendeur, pleine d'une poésie d'outre-monde, où l'on passe tour à tour du rire au rire jaune, de la contemplation émerveillée ou rêveuse au frisson d'inquiétude ou d'horreur. J'ai vraiment beaucoup aimé ces deux derniers textes...
Et entre les deux, comme pour contredire ma répartition du recueil en deux moitiés, drôle puis plus sérieuse, Le Jardin de nains du Ninja radin offre à nouveau un texte court et léger, très réussi, où l'on voit un elfe apprenti pirate qui m'a fait immédiatement penser à Pierre Richard dans Le Grand Blond avec une chaussure noire, allez savoir pourquoi.
C'est donc un recueil que j'ai beaucoup aimé, et qui m'a donné l'impression de s'améliorer au fil des textes (alors même que, comme je l'ai dit, les premiers sont déjà très bien).
Ce serait difficile de bien rendre compte de l'inventivité langagière de Timothée Rey dans ces textes - il a recours aussi bien à des termes de la langue littraire, des mots rares, surannés, techniques, voire précieux, qu'à toute une série de néologismes de son cru qui sont pour beaucoup dans "l'identité textuelle" du Tibbar. Peu importe finalement l'absence de descriptions précises et bien sages, on s'habitue assez vite à imaginer les cavaliers tnufles montés sur leurs ônuflons, sillonnant parmi les pipompins sur la route de l'Honafre majeure pendant plusieurs lunescycles.
Ajoutons à cela la belle présentation réalisée par les Moutons électriques, chaque nouvelle étant ornée d'un frontispice en forme de document tibbarien qui plonge encore davantage dans l'ambiance (du panneau de station de bus à la reproduction d'un sortilège top secret en passant par le diplôme de magie ou la photographie d'un oeuf volant).
Bref, une belle découverte (qui me rend bien bavard, mais j'ai vraiment beaucoup aimé), que je ne peux que vous recommander chaudement, et qui rend impatient de lire les prochains textes de l'auteur !
Inscrit le: 30 Juin 2004 Messages: 5671 Localisation: Physiquement : Cergy, France. Mentalement : MIA
Posté le: Dim Juil 04, 2010 2:42 pm Sujet du message:
Je note, ma PàL étant indigente en ce moment... _________________ Crazy Modératrice et Dictatrice Adjointe Il ne faut pas confondre ce qui est personnel et ce qui est important (Terry Pratchett)
J'ai un blog, et maintenant, j'ai publié un roman
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Posté le: Ven Juil 09, 2010 6:32 pm Sujet du message:
Ayé, je l'ai lu ! Je n'ajouterai rien à ce qu'a déjà dit Tybalt, avec qui je suis entièrement d'accord.
Personnellement, j'ai surtout aimé Suivre à travers le bleu..., Mon père... et la dernière, mais toutes les nouvelles sont très réussies. Et c'est tellement agréable de lire un français aussi impeccable ! Vivement un roman du même, qu'il se passe au Tibbar ou ailleurs. _________________ Même le soleil se couche.
Inscrit le: 30 Juin 2004 Messages: 5671 Localisation: Physiquement : Cergy, France. Mentalement : MIA
Posté le: Dim Aoû 15, 2010 10:37 pm Sujet du message:
Lu et bien aimé, même si j'ai des réserves ^^
D'une part, le vocabulaire demande de l'adaptation (et je suis frustrée de savoir que j'ai forcément loupé des blagues, la seule que j'ai repérée est l'arbalète ouéssone modèle smicée ), d'autre part un certain nombre d'histoires se terminent mal ou en queue de poisson, et j'aime pas trop ça _________________ Crazy Modératrice et Dictatrice Adjointe Il ne faut pas confondre ce qui est personnel et ce qui est important (Terry Pratchett)
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Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6326 Localisation: Sud
Posté le: Lun Aoû 16, 2010 6:44 am Sujet du message:
Modèle smicée ouessone, dans cet ordre, sinon ça ne fonctionne pas ;-) ! Et pour ton autre critique, je ne vois pas trop... La dernière, bien sûr.... Ah ça m'intrigue, je vais le relire :-D ! _________________ Même le soleil se couche.
Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Lun Aoû 16, 2010 11:22 am Sujet du message:
Crazy a écrit:
d'autre part un certain nombre d'histoires se terminent mal ou en queue de poisson, et j'aime pas trop ça
Tu penses peut-être aux passages du type "et à partir de là il s'est passé plein de choses mais jeracontetoutenaccélérésinonçarentreraitpas" ou bien "et à partir de là il s'est passé plein de choses mais c'est une autre histoire donc je les raconterai pas" ? C'est vrai que c'est parfois frustrant et pas toujours très adroit au niveau de la construction narrative. Mais ce n'est pas le cas dans toutes les nouvelles, heureusement.
Inscrit le: 30 Juin 2004 Messages: 5671 Localisation: Physiquement : Cergy, France. Mentalement : MIA
Posté le: Mar Aoû 17, 2010 9:15 pm Sujet du message:
Pas que, il y a "mon père, ce bouffon...", celui avec la phrase/sort qui rend fou, celui de la Tomate Chantante... plein en fait ^^
@Lisbeï, oui mais justement, c'est plus drôle dans l'autre sens ^^ _________________ Crazy Modératrice et Dictatrice Adjointe Il ne faut pas confondre ce qui est personnel et ce qui est important (Terry Pratchett)
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Posté le: Mer Aoû 25, 2010 5:00 pm Sujet du message:
Lu cet été et adoré ! Quel univers ! Quelle ambiance !
Alors certes, le vocabulaire inventé est un poil alambiqué, mais franchement, ça ne m'a pas un poil enlevé de plaisir.
Vais-je même me laisser tenter au crime de lèse-majesté ?
Même si moins varié, je l'ai trouvé plus fort que le chef-d'oeuvre Janua Vera !
Une lecture fondamentale pour tout amateur de fantasy. _________________ ",..)-;'...?..;..)" (Caracole, dans La Horde de contrevent)
"J'ai passé cinq heures dans ce putain de placard. Et quand je ferme le yeux, j'ai encore l'impression d'être surveillé par un cintre." (Ombre de l'ombre, PI Taïbo II)
C'est bien aimable à eux, mais ils auraient pu la mettre en .pdf _________________ Crazy Modératrice et Dictatrice Adjointe Il ne faut pas confondre ce qui est personnel et ce qui est important (Terry Pratchett)
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Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6326 Localisation: Sud
Posté le: Mar Sep 07, 2010 7:48 am Sujet du message:
Merci Tybalt . Ayé, je l'ai lue. Sympathique, un peu dans l'esprit de Magma mia ! Bon, je l'ai bien aimée, mais je n'en suis pas fan.
Et après relecture du recueil, je ne dirais pas, Crazy que les nouvelles
Spoiler:
finissent en queue de poisson, je trouve qu'elles ont une fin très nette, même si ce sont clairement des "vues" d'un pays très étranger, des morceaux choisis de son histoire, si on veut, et donc par nature élusives. En revanche, qu'elles se terminent mal est indubitable
Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Dim Aoû 21, 2011 11:07 am Sujet du message:
Timothée Rey a remporté le prix Rosny Aîné 2011 de la nouvelle pour "Suivre à travers le bleu cet éclair puis cet ombre", l'une des nouvelles du recueil L'occasion de remonter le sujet, d'autant que l'éditeur avait mis en ligne gracieusement la nouvelle au moment de sa nomination au premier tour. Et c'est effectivement l'une des meilleures nouvelles du recueil, donc je ne peux que vous inciter à la découvrir !
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