Inscrit le: 12 Avr 2006 Messages: 5856 Localisation: deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin...
Posté le: Dim Sep 09, 2007 10:36 pm Sujet du message: Le Cid - Pierre Corneille
Je viens de relire Le Cid de Corneille, et j'ai réalisé qu'il n'y avait pas encore de topic dessus. Voilà désormais le manque comblé !
L'histoire, tout le monde la connaît, mais sait-on jamais, la voici (si vous ne la connaissez pas du tout, attention, ça spoile un brin !) :
Espagne, XIème siècle.
La belle Chimène est courtisée par deux amoureux, don Sanche et don Rodrigue. En son coeur, elle a choisi ce dernier. Mais leurs pères respectifs se querellent et se battent : le comte Gomès désarme facilement don Diègue.
Citation:
- Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans tous les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Mon bras qu'avec respect toute l'Espagne admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,
Tant de fois affermi le trône de son roi,
Trahit donc ma querelle et ne fait rien pour moi ?
Don Diègue demande alors à son fils Rodrigue de le venger du comte Gomès, père de Chimène.
Citation:
- Rodrigue, as-tu du coeur ?
[...] va, cours, vole, et nous venge.
Rodrigue s'exécute et provoque le comte.
Citation:
- Jeune présomptueux !
- Parle sans t'émouvoir.
Je suis jeune, il est vrai : mais aux âmes bien nées,
La valeur n'attend point le nombre des années.
- Te mesurer à moi ! Qui t'a rendu si vain,
Toi qu'on n'a jamais vu les armes à la main ?
- Mes pareils à deux fois ne se font point connaître,
Et pour leurs coups d'essai veulent des coups de maître.
- Sais-tu bien qui je suis ?
- [...] J'attaque en téméraire un bras toujours vainqueur ;
Mais j'aurai trop de force, ayant assez de coeur.
A qui venge son père, il n'est rien impossible.
Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.
- [...] J'admire ton courage, et je plains ta jeunesse.
Ne cherche point à faire un coup d'essai fatal ;
Dispense ma valeur d'un combat inégal ;
Trop peu d'honneur pour moi suivrait cette victoire :
A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
Rodrigue tue le comte. Désormais, l'honneur de Chimène l'empêche d'avouer son amour pour l'assassin de son père. Désespéré, Rodrigue demande à Chimène de le tuer, mais elle ne peut s'y résoudre.
Citation:
- Au nom d'un père mort, ou de notre amitié,
Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.
Ton malheureux amant aura bien moins de peine
A mourir par ta main qu'à vivre avec ta haine.
- Va, je ne te hais point.
Sur ce, la ville subit une attaque des Maures. Rodrigue va se battre pour espérer regagner le pardon du Roi et l'amour de Chimène.
Citation:
- Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort,
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port
Tant, à nous voir marcher avec un tel visage,
Les plus épouvantés reprenaient de courage.
[...]Le flux les apporta, le flux les remporte;
Cependant que leurs rois, engagés parmi nous,
Et quelque peu des leurs, tous percés de nos coups,
Disputent vaillamment et vendent bien leur vie.
A se rendre moi-même en vain je les convie:
Le cimeterre au poing, ils ne m'écoutent pas;
Mais, voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats,
Et que seuls désormais en vain ils se défendent,
Ils demandent le chef: je me nomme, ils se rendent.
Je vous les envoyai tous deux en même temps;
Et le combat cessa faute de combattants.
Le Roi, don Fernand, est bien évidemment très content.
Citation:
- Mais deux rois tes captifs feront ta récompense.
Ils t'ont nommé tous deux leur Cid en ma présence :
Puisque Cid en leur langue est autant que seigneur,
Je ne t'envierai pas ce beau titre d'honneur.
Sois désormais le Cid : Qu'à ce grand nom tout cède ;
Qu'il comble d'épouvante et Grenade et Tolède
Et qu'il marque à tous ceux qui vivent sous mes lois
Et ce que tu me vaux, et ce que je te dois.
Cependant, Chimène n'est toujours pas satisfaite et réclame la mort de Rodrigue. Le roi lui accorde de choisir un champion qui combattra Rodrigue (don Sanche se propose) mais elle devra épouser le vainqueur, quel qu'il soit. Rodrigue compte se laisser tuer, mais Chimène, toujours amoureuse bien qu'elle ne veuille l'avouer, trouve tous les prétextes pour lui demander de n'en rien faire.
Le combat s'étant déroulé à l'écart de la cour, don Sanche revient seul, l'épée ensanglantée. Chimène, se croyant vengée, laisse alors éclater son amour.
Citation:
- Enfin Rodrigue est mort, et sa mort m'a changée
D'implacable ennemie en amante affligée.
Rodrigue avait cependant désarmé don Sanche sans le tuer et il est toujours vivant. Il demande une fois de plus à Chimène de le tuer, si c'est tout ce qui peut la satisfaire. Chimène chipote encore, mais le roi tranche : Elle épousera Rodrigue au bout d'un an, durant lequel le Cid commandera l'armée pour repousser les Maures.
Citation:
- Et possédant déjà le coeur de ta maîtresse,
Pour vaincre un point d'honneur qui combat contre toi,
Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi.
Bon, j'ai un peu abusé des citations, à ce qu'il semble ! C'est que ce texte est absolument magnifique, je n'ai pas résisté. D'autant que la plupart des citations que j'ai reprises sont des grands classiques (le genre dont on sait qu'on les connaît sans savoir de quel texte elles sortent, si vous voyez ce que je veux dire ).
Vous aurez compris que j'ai beaucoup aimé cette pièce, je trouve le personnage de Rodrigue très beau, et ces vers très agréables à lire (je n'aime pourtant guère les vers d'habitude). Je le conseille à tous ceux qui ne l'auraient pas encore lu, c'est superbe.
Inscrit le: 08 Mai 2003 Messages: 2602 Localisation: Lille
Posté le: Lun Sep 10, 2007 9:43 am Sujet du message:
Super présentation, bien que ça donne un côté "Feux de l'amour"
C'est vraiment une très belle pièce qu'il faut absolument lire _________________ Zelphalya
Co-Administratrice du Coin des Lecteurs
Le Cid ou l'accession pour Corneille à la consécration. Il faut que je me le procure à tout prix. (Je ne suis pas allé jusqu'au bout du post de Soleil*, histoire de me réserver quelques surprises, mais il est certain que la tragédie classique doit énormément à cette oeuvre.) _________________ Brise et ruine d’abord ce monde, nous verrons si l’autre surgit ensuite
Inscrit le: 12 Avr 2006 Messages: 5856 Localisation: deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin...
Posté le: Mar Sep 18, 2007 1:17 pm Sujet du message:
L a écrit:
Il faut que je me le procure à tout prix.
J'ai idée que tu dois pouvoir emprunter ça dans toute bibliothèque correcte ! En plus, c'est du théâtre, donc en une heure c'est lu, ce n'est pas un gros investissement en temps...
Fonce, c'est du tout bon !
Inscrit le: 10 Juin 2007 Messages: 640 Localisation: Ailleurs
Posté le: Mer Sep 19, 2007 8:27 pm Sujet du message:
Okay, merci pour le renseignement. Je vais essayer de le trouver, avec notes sur le contexte et sur l'oeuvre elle même. (Mais ça, çe doit être le cas de la plupart des éditions je pense). _________________ Brise et ruine d’abord ce monde, nous verrons si l’autre surgit ensuite
Dernière édition par L le Ven Jan 04, 2008 1:17 pm; édité 1 fois
Inscrit le: 26 Avr 2007 Messages: 840 Localisation: France
Posté le: Dim Oct 21, 2007 3:23 pm Sujet du message:
Le Cid est peut-être la pièce du répertoire français qui nous a légué le plus de citations mémorables (et je pense qu'à peu près tout le monde a du parodier au moins une fois dans sa vie la tirade de Don Diègue).
Cela étant dit, je dois dire que la conception très rigide (et très macho) de l'honneur qui anime la pièce ne me plaît pas beaucoup.
Inscrit le: 02 Mai 2013 Messages: 3 Localisation: Bruxelles
Posté le: Dim Mai 05, 2013 9:09 pm Sujet du message:
Le Cid est l'une des plus grandes pièces du théâtre français en matière d'aura et de renommée.
J'ai lu, et ai trouvé cette pièce intéressante à plus d'un titre. Des points assez classiques en somme, comme la place de l'honneur et du devoir, qui n'est certes plus tellement d'actualité mais que l'on peut encore retrouver de ci de là (regardez bien, vous trouverez sûrement des exemples dans votre quotidienne), je ne citerai pas les éternelles répliques que l'on entend partout maintenant, et qui sont une nouvelle preuve de son impact culturel.
Le récit a malgré tout vieilli je trouve. Mais ça n'est qu'un avis personnel.
Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Lun Juin 10, 2019 3:05 pm Sujet du message:
Ah mais bien sûr, c'est une pièce du XVIIe siècle et surtout l'action se passe en plein Moyen âge, donc, bien entendu, les conceptions de la virilité, de l'honneur, de la façon de régler les conflits, etc. n'ont pas grand-chose à voir avec notre époque... heureusement.
Mais quel souffle dans cette pièce ! C'est à la fois une belle histoire d'amour et une grande aventure de cape et d'épée, écrite avec une plume magnifique. S'il y a une pièce de théâtre du XVIIe siècle à lire, c'est celle-ci. Je l'avais bien aimée dès ma première lecture au lycée, et j'ai eu l'occasion de la relire avec un plaisir toujours renouvelé par la suite.
C'est beau, c'est palpitant, c'est un pilier de la culture générale, et en plus on en trouve très facilement des éditions parascolaires bien faites à deux sous avec intro, notes, lexique et tout ce qu'il faut pour la comprendre (sans parler du texte et des ressources qu'on peut trouver gratuitement sur Internet). Aucune raison d'hésiter à la lire, donc ! _________________ Si ça vous intéresse : mon blog de lectures (dont des messages postés sur le Coin et étoffés pour l'occasion) et un site sur mes publications
Inscrit le: 27 Juin 2011 Messages: 3327 Localisation: Great North
Posté le: Lun Juin 10, 2019 3:33 pm Sujet du message:
Mouais, ma mère nous l'avait fait lire en 4ème et c'est vrai que certains passages étaient chouettes à jouer, la synecdoque du bras de don Diègue, le duel en parole du comte et de Rodrigue, le récit de la bataille avec son fameux oxymore, mais les scènes avec Chimène sont insupportables de niaiserie et l'ensemble ne rend guère justice au personnage dont Guy Gavriel Kay a brossé un portrait si subtil dans Les lions d'Al Rassan.
Cela dit, ça ne m'a pas empêché de l'étudier pas mal de fois à mon tour avec mes 4èmes au fil des ans. _________________ "Tout est dans tout et réciproquement ."
Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Lun Juin 10, 2019 7:50 pm Sujet du message:
Mais Le Cid n'est pas une pièce de théâtre historique : elle ne fait que s'inspirer très librement de pièces d'un auteur espagnol pour les adapter aux codes du genre (et au goût du moment) en France à l'époque de Corneille. Si c'était un drame romantique du XIXe siècle, à la limite, on pourrait se plaindre, mais ce n'est pas le cas.
Quant au personnage de Chimène, je te trouve un peu sévère : c'est un personnage féminin fort pour l'époque, qui utilise toutes les ressources à sa disposition pour parvenir à ses fins dans un monde d'hommes. L'influence qu'elle arrive à avoir en dépit de son jeune âge est impressionnante. Et puis il y a de beaux vers (je trouve). _________________ Si ça vous intéresse : mon blog de lectures (dont des messages postés sur le Coin et étoffés pour l'occasion) et un site sur mes publications
Posté le: Sam Juil 31, 2021 3:35 pm Sujet du message:
Je l'ai écouté car ma fille travaillait dessus au collège
Je m'en suis noté quelques tournures que j'ai bien aimées.
Le Cid (Corneille) Un si charmant discours ne se peut trop entendre ; [...]
L’amour est un tyran qui n’épargne personne : [...]
Mets la main sur mon cœur, Et vois comme il se trouble au nom de son vainqueur, Comme il le reconnaît.
Si l’amour vit d’espoir, et s’il meurt avec lui, [...]
Ma plus douce espérance est de perdre l’espoir.
Dans le bonheur d’autrui je cherche mon bonheur : [...]
Un prince dans un livre apprend mal son devoir.
Mon nom sert de rempart à toute la Castille : [...]
Achève, et prends ma vie après un tel affront,
Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
Ce haut rang n’admet point un homme sans honneur ; [...]
Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage ; [...]
[...] va, cours, vole, et nous venge.
Je dois à ma maîtresse aussi bien qu’à mon père : [...]
Mon mal augmente à le vouloir guérir ; [...]
Je m’accuse déjà de trop de négligence : Courons à la vengeance ; [...]
[...] vous devez savoir Que qui sert bien son roi ne fait que son devoir.
Tout l’État périra, s’il faut que je périsse.
Et l’on peut me réduire à vivre sans bonheur, Mais non pas me résoudre à vivre sans honneur.
Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées La valeur n’attend point le nombre des années.
J’attaque en téméraire un bras toujours vainqueur ; [...] À qui venge son père il n’est rien d’impossible. Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.
J’admire ton courage, et je plains ta jeunesse.
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
Maudite ambition, détestable manie, [...]
Les accommodements ne font rien en ce point. De si mortels affronts ne se réparent point.
Le passé me tourmente, et je crains l’avenir.
De tous les deux côtés mon âme se rebelle : Je crains plus que la mort la fin de ma querelle.
Il est trop amoureux pour te vouloir déplaire, [...]
Et lorsque le malade aime sa maladie, Qu’il a peine à souffrir que l’on y remédie !
Porter delà les mers ses hautes destinées, Du sang des Africains arroser ses lauriers : [...]
Ainsi votre raison n’est pas raison pour moi : Vous parlez en soldat ; je dois agir en roi ; [...]
Tu veux que je t’écoute, et tu me fais mourir !
J’ai fait ce que j’ai dû, je fais ce que je dois.
Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié. [...]
Là, si tu veux mourir, trouve une belle mort ; [...]
On aigrit ma douleur en l’élevant si haut : Je vois ce que je perds quand je vois ce qu’il vaut.
Il sera trop puni s’il n’est plus dans ton âme.
Pour te récompenser ma force est trop petite ; Et j’ai moins de pouvoir que tu n’as de mérite.
Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port,
Cette obscure clarté qui tombe des étoiles
La honte de mourir sans avoir combattu Arrête leur désordre, et leur rend leur vertu.
L’ardeur de vaincre cède à la peur de mourir.
Et le combat cessa faute de combattants.
Pour tous remercîments il faut que je te chasse ; [...]
Sa douleur a trahi les secrets de son âme, Et ne vous permet plus de douter de sa flamme.
Une si belle fin m’est trop injurieuse. Je demande sa mort, mais non pas glorieuse, [...]
Que pourraient contre lui des larmes qu’on méprise ?
Quand on rend la justice on met tout en balance : [...]
L’amour, ce doux auteur de mes cruels supplices, Aux esprits des amants apprend trop d’artifices.
Comme il est sans renom, elle est sans défiance ; [...]
En croyant me venger, tu m’as ôté la vie.
Et soudain sa colère a trahi son amour
Ayant tant fait pour lui, fais pour toi quelque chose,
Ma tête est à vos pieds, vengez-vous par vos mains ; [...]
Mais du moins que ma mort suffise à me punir : Ne me bannissez point de votre souvenir ;
S’il ne m’avait aimée, il ne serait pas mort.
Le temps assez souvent a rendu légitime Ce qui semblait d’abord ne se pouvoir sans crime : [...]
Dernière édition par Vassia le Dim Aoû 01, 2021 8:59 am; édité 1 fois
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