Soleil* Super Nov-A
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Posté le: Jeu Avr 06, 2017 6:16 pm Sujet du message: Le Vivant - Anna Starobinets |
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"Le nombre du Vivant est immuable, le Vivant compte trois milliards de vivants, pas un de plus, pas un de moins, car dans la renaissance éternelle réside le secret de la vie." Ainsi est-il dit dans le Livre de la Vie. Désormais, la mort n'existe plus.
Apparu spontanément après la Grande Compression qui a drastiquement réduit la population de la Terre, le Vivant constitue une société parfaite. Les trois milliards d'individus de cette entité vivent dans l'harmonie, connectés entre eux en permanence via les différentes strates du Socio. Quand quelqu'un vieillit, il se met en Pause, et après Cinq Secondes de Ténèbres un bébé est conçu qui porte le même incode, le même code d'incarnation. Tous disposent ainsi d'un corps jeune et en pleine santé.
Mais le bébé d'Hanna est différent : son incode est nul, il n'apparaît pas dans la base de données du Vivant. Désormais, le Vivant compte trois milliards et un individus ! Mais que faire de cet enfant anormal, ce Zéro que les dissidents voient comme leur messie ?
Les utopies ne font pas de bonnes histoires, on le sait. Aucune surprise donc dans le fait que le monde parfait que nous présente Anna Starobinets se craquelle au fil des pages, le Vivant tournant bien vite à la dystopie.
C'est ainsi que les vieux sont contraints à la Pause forcée à soixante ans même s'ils sont opposés à l'interruption ; les enfants sont enlevés à leur mère pour être élevés en internats, pour ne être vus comme le prolongement de leurs parents ; les femmes sont contraintes d'enfanter pour perpétuer la vie, se donnant à des partenaires inconnus lors de gigantesques festivals où leur présence est obligatoire ; chacun retrouve son statut d'incarnation en incarnation, sans grande chance de s'élever socialement, notamment pour les criminels reconnus qui sont emprisonnés dès leur naissance pour éviter de récidiver...
Sans compter les ravages provoqués par le Socio : en vivant en permanence connectés, les gens ont pris l'habitude de négliger la première strate, la strate qui existe physiquement, vautrant leur corps obèse dans le désordre et la crasse. Le Socio surveille les usagers en permanence, et il est difficile d'échapper aux publicités forcées, aux séries quasi imposées... Mais qui le veut vraiment, dans un monde où la pire punition est d'être déconnecté du Socio ?
Dans ce roman, on constate les dérives possibles de notre société actuelle. Le Socio, successeur de nos réseaux sociaux, permet aux dirigeants le contrôle des masses. Bien sûr, ces mêmes dirigeants ne songent guère au bien-être de leurs administrés, du moment que eux bénéficient des privilèges auxquels ils sont habitués. Glaçant d'anticipation, le monde décrit rappelle forcément de grands classiques comme "1984" ou "Le meilleur des mondes". Un roman qui fait réfléchir, donc.
La lecture n'est pas facile, il faut s'accrocher pour tout suivre, et au final c'est ce qui fait que j'ai moyennement apprécié ce livre. Les concepts qui sous-tendent ce monde futur ne sont pas toujours énoncés clairement, mais simplement introduits au fil des événements. On saute d'un personnage à l'autre, même si certains n'apparaissent que durant quelques chapitres : au début, cela tourne beaucoup autour de Zéro et d'Ef, l'agent du service d'ordre chargé de le surveiller ; mais il y a aussi un scientifique, des amis d'Ef, des camarades de Zéro en maison de correction... Pareil pour le texte, qui alterne récits à la première personne (ou tout au moins centrés sur une personne) et documents divers. Cela donne beaucoup de richesse à l'histoire, mais en contrepartie c'est assez touffu et pas toujours facile à appréhender. D'ailleurs, je ne suis pas vraiment sûre d'avoir tout compris à la fin, c'est dommage...
C'est une lecture intéressante qui touchera les lecteurs férus d'anticipation, mais qu'il faut lire en ayant l'esprit clair sous peine de ne pas comprendre grand chose.
Prix Portal du meilleur roman 2012, Grand Prix des Utopiales 2016 pour sa traduction française _________________ Il s’évanouit tout doucement à commencer par le bout de la queue,
et finissant par sa grimace qui demeura quelque temps après que le reste fut disparu. |
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