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Posté le: Ven Jan 20, 2017 5:01 pm Sujet du message: [N] L'effet Churten - Ursula K. Le Guin
Les mondes connus sont nombreux, mais les immenses distances interstellaires ne sont guère pratiques : malgré l'ansible, qui permet de communiquer n'importe où de manière instantanée, les vitesses des vaisseaux restent limitées à celle de la lumière, et les déplacements d'une planète à l'autre mettent des années, voire des siècles. Pourtant, on a peut-être découvert un moyen de passer outre ce problème : L'effet Churten. Testé avec succès sur des objets inanimés puis des animaux, il permettrait de se déplacer de manière instantanée entre deux points, quelle que soit la distance.
"On pourrait tout expliquer par une analogie, proposa Gveter. L'efficacité d'un équipage dépend de la perception que ses membres ont d'eux-mêmes en tant qu'équipage... ce qu'on pourrait appeler l'esprit d'équipe, ou le simple fait d'en être une, d'accord ? Alors peut-être que pour churtener, nous... nous, en tant qu'êtres conscients... peut-être que tout dépend de notre perception consciente de nous-mêmes en tant que... que transilients... c'est à dire, ceux qui sont ailleurs... sur le lieu de leur destination ?"
Le hic, c'est qu'il n'y a pas grand monde pour comprendre les principes du Churten. Et même ceux-là ne savent pas trop ce qui pourrait se passer si on l'utilise sur des êtres intelligents ! Est-ce viable ? Les premiers essais vont donc être assez hasardeux...
Ce recueil d'Ursula K. Le Guin propose trois longues nouvelles tournant autour de l'effet Churten. Les trois nouvelles concernent des événements communs et forment un ensemble. Toutes trois prennent place dans l'univers du Cycle de Hain, cycle majeur de l'auteure, mais elles sont suffisamment autonomes pour que ce livre puisse être lu totalement indépendamment par un lecteur qui débute avec cette auteure.
Dans L'Histoire des Shobies, on fait la connaissance de la première équipe ayant expérimenté l'effet Churten. Dix personnes, adultes et enfants, originaires de différentes planètes et cultures. Comme promis, le transport est instantané. Mais les ennuis commencent une fois en orbite autour de M-quelque-chose : les voyageurs déroutés ne perçoivent pas les mêmes choses, il leur semble vivre des événements différents. Le réalité vole en éclats, chacun en détenant son propre fragment qui ne s'assemble pas avec celui des autres. Les souvenirs diffèrent, impossible de démêler le vrai du faux ! Cette fracture entre les sensations de chacun est si grave que les machines se mettent également à dérailler, empêchant les cobayes de rentrer chez eux.
Ce premier récit est assez ardu. Le concept du Churten est volontairement abstrait, or il semble que l'efficacité de l'effet dépende de la perception qu'on en a : pour churtener, il faut y croire. Plus qu'une science, ce pourrait être une philosophie. Ce n'est pas simple, et le lecteur doit rester concentré pour suivre. Pour autant, c'est une histoire magnifique que j'ai lue d'une traite avec grand intérêt.
La danse de Ganam reprend le fil des essais quelques temps plus tard. En effectuant plusieurs voyages réussis en solitaire, le commandant Dalzul a fait avancer les choses, mais il est temps maintenant de procéder à un nouvel essai en équipe. Dalzul emmène donc trois compatriotes (histoire de partir immédiatement sur la même longueur d'onde) sur Ganam, une planète perdue sur laquelle il a été particulièrement bien accueilli lors de son dernier voyage : impressionnés par cet homme descendu du ciel, les indigènes ont décidé d'en faire leur roi.
Cette nouvelle est plus simple à appréhender mais moins originale. Le malentendu entre les natifs de Ganam et leurs visiteurs célestes, qui ne parlent pas leur langue et sont étrangers à leur culture, se laisse deviner assez vite. Il est certes exacerbé par les effets perturbateurs du Churten sur les perceptions, mais cela reste assez classique.
Enfin, Le pêcheur de la mer intérieure est le récit d'un fermier qui envoie une missive au département de recherche sur le Churten. Hideo nous raconte sa vie, et au fil de son récit on comprend sa relation avec les études sur le Churten : jeune homme, il a choisi de quitter la ferme familiale et la jeune fille qui l'aimait, et s'est trouvé impliqué pleinement dans les premiers travaux sur le Churten, mais ensuite... Le récit couvre plusieurs années, commençant avant la découverte de l'effet Churten pour se terminer après les expéditions de Dalzul vers Ganam. On y découvre une nouvelle bizarrerie liée au Churten, dont je ne vous parlerai pas pour ne pas vous gâcher la surprise.
Le début est long à se mettre en place et on se demande bien où l'auteure nous emmène. Pourtant, cette nouvelle est finalement la plus belle des trois et on comprend aisément pourquoi elle avait donné son titre au recueil éponyme de huit nouvelles paru en France en 2010. C'est un texte très poétique et très touchant, car on a bien le temps de comprendre Hideo, ses désirs et ses choix, ses hésitations et ses peines.
L'ouvrage se termine sur une postface de Bernard Henninger, qui analyse l’œuvre d'Ursula K. Le Guin d'une manière générale. Mais là, j'avoue que j'ai trouvé très lourd, je préfère lire sans me prendre autant la tête (même si je laisse mon esprit suivre les nombreuses pistes de réflexion proposées) que de disséquer le texte ainsi.
Et après cela, plus rien, ce qui fait qu'à mon goût il manque un sommaire pour savoir à quelle page commence quelle nouvelle !
Ce recueil est donc pour moi une belle découverte. Les idées sont là - explorant les relations entre l'homme, la conscience, le ressenti - mais l'épopée scientifique relatée est toujours portée par l'humain. C'est magnifique, mais évidemment on n'en attendait pas moins d'une auteure de cette qualité.
Chronique réalisée pour Les Chroniques de l'Imaginaire. _________________ Il s’évanouit tout doucement à commencer par le bout de la queue,
et finissant par sa grimace qui demeura quelque temps après que le reste fut disparu.
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6326 Localisation: Sud
Posté le: Sam Jan 21, 2017 3:24 pm Sujet du message:
Il me le faut, même si j'ai déjà lu la dernière (j'avais chroniqué le recueil éponyme, pour Les vagabonds du rêve). _________________ Même le soleil se couche.
Inscrit le: 27 Juin 2011 Messages: 3327 Localisation: Great North
Posté le: Sam Jan 21, 2017 4:40 pm Sujet du message:
Tiens, je ne l'ai pas vu passer celui-là ! m'en vais me le procurer au plus vite.
Pour Bernard Henninger, c'est un homme charmant, grand amateur de poésie et qui a écrit un très chouette court roman que j'ai lu il y a quelques années, Le souffle du rêve. _________________ "Tout est dans tout et réciproquement ."
Inscrit le: 12 Avr 2006 Messages: 5856 Localisation: deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin...
Posté le: Sam Jan 21, 2017 7:22 pm Sujet du message:
Lisbeï a écrit:
Il me le faut, même si j'ai déjà lu la dernière (j'avais chroniqué le recueil éponyme, pour Les vagabonds du rêve).
J'avais compris que les 3 nouvelles reprises ici étaient dans le recueil en question, donc tu devrais les avoir toutes 3 déjà lues. _________________ Il s’évanouit tout doucement à commencer par le bout de la queue,
et finissant par sa grimace qui demeura quelque temps après que le reste fut disparu.
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6326 Localisation: Sud
Posté le: Dim Jan 22, 2017 11:27 am Sujet du message:
Mais oui, vérification faite, tu as raison ! Merci. Et je m'en vais relire le recueil, du coup, étant donné que j'en ai visiblement tout oublié :-(((. _________________ Même le soleil se couche.
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