Inscrit le: 16 Mai 2009 Messages: 3029 Localisation: Loire
Posté le: Dim Avr 15, 2012 1:42 pm Sujet du message: Outrage et rébellion - Catherine Dufour
On parle de ce roman ici et là sur le forum, mais comme il n'a pas été chroniqué, je me lance.
Je dois avouer qu'au premier abord, j'y suis allée à reculons. Le style de narration est vraiment déstabilisant.
Quantité de personnages aux noms étranges parlent chacun leur tour, comme dans une interview papier. Puis chacun parle d'événements qu'ils ont vécus, mais dont le lecteur n'a absolument aucune idée.
Si je n'avais pas à chroniquer ce roman pour Les Chroniques de l'Imaginaire, je dois avouer, à ma grande honte, que je l'aurai abandonné au bout de 30 pages à peine. Puis, je me suis dit, allez, pour une fois, va voir ce qu'en pensent les gens sur internet. Et je n'ai lu que des critiques dithyrambiques. Alors, je me suis accrochée.
Et grand bien m'en a pris !
Petit à petit, insidieusement, on se trouve pris dans l'histoire et finalement, on a du mal à lâcher le bouquin !
J'ai vraiment été bluffée par la maîtrise de l'auteure, par son style si déstabilisant mais qui réussit avec brio à faire passer ses messages. je pense que ce roman fera partie des rares que je n'oublierai pas.
Ma chronique :
Dans les années 2320, nous dit la 4e de couverture (on a une notion de date qu'à la moitié du livre environ), dans un pensionnat appelé pension' par ses occupants, des jeunes gens âgés de 13 à 16 ans s'ennuient. Pour tromper leur ennui, et pour se rebeller contre l'autorité des Monos, ils redécouvrent la musique, forment des groupes, et chantent leur mal de vivre.
L'entrée en matière dans le roman est assez surprenante, les jeunes gens parlent chacun leur tour, un peu comme dans un interview. On réalise vite que le roman entier est construit ainsi. C'est parfois une véritable cacophonie, tout le monde parle presque en même temps.
On peut être rapidement dérouté car au départ, on ne comprend pas grand chose. En effet, les jeunes gens parlent de leur vie, avec leur quotidien de 2320, donc avec un vocabulaire ayant légèrement évolué depuis 2012, dans un environnement connu d'eux-seuls, aucune piste n'est donnée au lecteur. A lui d'imaginer.
On ressent la violence verbale, la drogue permanente, mais on a du mal à comprendre dans quel système sociétal on se trouve, en quoi consiste ce pension', qui sont les Monos, quel est le but de tout ceci, etc.
Le vocabulaire est très complexe, avec des termes techniques de 2320, donc complètement inconnu, les prénoms sont très originaux, comme par exemple marquis, lamonte, ou encore tecnic et ils n'ont pas de majuscule depuis la révolte de l'un d'entre eux, qui s'est farouchement opposé à la majuscule. Pour quelle raison ? On ne le saura pas.
C'est bien ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de ce roman. On se retrouve catapulté dans un univers complètement différent, très réel, avec ses codes, ses moeurs, tel un voyeur qui observe et épie, mais sans rien comprendre.
Marquis est le personnage central de cette histoire. Dans la première partie, il est celui qui a amené la chanson aux autres, qui sert de modèle, une sorte de guide de la rébellion. Mais il est également le seul à ne pas connaitre la nature exacte du pension'. Dans la seconde partie, il rencontre une autre frange de la population de son monde. Et le lecteur découvre avec lui, bien des spécificités de ce futur imaginé avec brio par Catherine Dufour.
Une fois passée la surprise occasionnée par la forme très particulière de la narration, par une immersion totale et soudaine, et donc déstabilisante, dans un monde complètement inconnu, la lecture devient agréable et attractive. Découvrir les particularités de cet univers à travers quelques phrases qui semblent anodines devient un réel plaisir. Le lecteur ne peut pas rester passif, il doit en permanence imaginer, supposer, projeter, visualiser.
On ne peut qu'admirer la prouesse de l'auteur.
Ce genre de lecture peut toutefois décourager les lecteurs occasionnels, tant elle sort de l'ordinaire. Et même pour les lecteurs plus chevronnés, il faut s'accrocher, persévérer, avant d'en découvrir la richesse cachée. Il faut le mériter, en quelque sorte ! _________________ On ne sait jamais ce que notre malchance nous a évité de pire. Cormac McCarthy
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6326 Localisation: Sud
Posté le: Lun Avr 16, 2012 6:17 am Sujet du message:
Ouf, je suis contente qu'il t'ait plu, Marquise ! Et je confirme : c'est un roman qui ne s'oublie pas. Et je vois que l'aspect christique ne t'a pas frappée ? _________________ Même le soleil se couche.
Ahem... j'entends ce que j'ai écrit dans ma propre chro du roman ... Je reproduis ci-dessous le § qui correspond :
Citation:
Ce roman peut aussi être vu comme une étonnante réécriture de la vie du Christ, depuis la naissance dans des conditions inhabituelles jusqu'à la mort oblative suite à une trahison, en passant par le charisme et les foules, avec le sexe, la musique et la drogue en plus, et la prédication en moins : marquis est le seul personnage à ne jamais prendre la parole
Je ne lis jamais les chros des autres sur le roman que je suis en train de lire, pour ne pas être influencée.
Bon, j'aurai pu la lire après, c'est vrai !
Non, je n'ai vu aucune ressemblance avec le Christ, probablement pour la bonne raison que je suis une vraie athée, avec une culture religieuse très "pauvre".
En fait, en y réfléchissant, c'est très rare qu'en lisant un roman, je trouve une ressemblance avec quelqu'un d'autre...Je ne suis pas "physionomiste" même en lecture !
Par contre tu fais erreur dans ta chro en disant que marquis ne prend jamais la parole. J'ai le livre dans les mains, et dans la première partie, il parle, des petites phrases certes, mais il parle. C'est une fois chez les Rats qu'on ne l'entend plus. _________________ On ne sait jamais ce que notre malchance nous a évité de pire. Cormac McCarthy
Inscrit le: 30 Juin 2004 Messages: 5671 Localisation: Physiquement : Cergy, France. Mentalement : MIA
Posté le: Mar Avr 24, 2012 2:17 pm Sujet du message:
Je plussoie sur la qualité du bouquin, "malgré" sa structure particulière
(J'ai eu l'impression de lire les sous-titre et le générique d'un documentaire, ce qui est, je pense, l'effet voulu ).
On notera aussi que c'est techniquement une suite de "Le goût de l'Immortalité"
Spoiler:
Une des filles de la pension (je ne me rappelle plus son nom, juste qu'elle est grande, maigre et particulièrement barrée) est en fait le clone de l'héroïne de "le goût..." et finit par partir lui servir de corps de rechange.
(mais le style d'écriture est 'hachement plus facile à lire ^^). _________________ Crazy Modératrice et Dictatrice Adjointe Il ne faut pas confondre ce qui est personnel et ce qui est important (Terry Pratchett)
J'ai un blog, et maintenant, j'ai publié un roman
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