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Posté le: Sam Déc 27, 2014 11:00 pm Sujet du message: Autobiographie d'une machine ktistèque - R.A. Lafferty
Parution : VO 1971 / VF 1974.
La taille d’un hangar, l’intelligence de ses créateurs, la maturité d’un enfant : tel est Epiktistes, le dernier né de l’Institut pour la Science Impure, une machine pensante dont le nom signifie « celui qui crée ». Il a été conçu pour répondre à toutes les questions, à l’aide de sa banque de données colossale et de son esprit supérieur. A sa naissance, on lui a attribué trois taches principales : « établir ou créer un chef, un amour, une liaison ». C’est le récit de ces trois taches, de ces trois fiascos, qui nous est révélé ici par Epikt lui-même.
J’ai pris peu de plaisir à lire ce livre, je ne l’aurais probablement pas terminé si je n’avais pas dû en faire la chronique. Le narrateur, Epikt, est imbu de lui-même, il se croit infiniment supérieur aux Humains. Cette suffisance et cette prétention sont telles qu’on a envie de lui donner des claques, si cela pouvait le faire réagir. Il est certes doté de capteurs qui lui permettent de ressentir pas mal de choses de son environnent, et également ce qui s’apparente à des émotions, mais il n’a rien d’humain, il ne partage pas nos valeurs. Il voit les choses d’une façon bien à lui, nous les présentant d’une manière que l’on soupçonne n’avoir pas grand-chose à voir avec la réalité. S’il était humain, on n’hésiterait guère avant de déclarer qu’il est fou.
Mais après tout, son aliénation n’est pas forcément étonnante, vu qu’il est constitué de l’amalgame de tous les esprits des personnes dont il a absorbé le précis, et que toutes les personnes ayant présidé à sa conception semblent un brin dérangées. En effet, au fil des pages et entre les délires relatant l’histoire d’Epikt depuis sa naissance, on découvre aussi la présentation systématique de tous les membres de l’Institut (ainsi que des pièces rapportées qui n’en font pas officiellement partie mais gravitent autour, vivants ou morts) : des génies certes, mais qui sont tous complètement allumés et résolument bizarres.
Au final, cela donne un texte psychédélique, avec des listes à rallonge d’éléments incongrus, des comparaisons poétiques qui viennent d’on ne sait où sans grand rapport avec l’objet décrit, ou des dialogues dont les répliques s’enchaînent sans queue ni tête. Le style littéraire est vraiment pompeux, privilégiant la recherche de vocabulaire volontairement obtus à l’intérêt du contenu du récit. Bref, j’ai trouvé la lecture vraiment laborieuse.
Comme j’ai conscience que cet avis négatif est vraiment tranché, et de manière exceptionnelle, je vous laisse juge avec deux extraits qui vous donneront une bonne idée de ce roman. Dans le premier (p. 144), deux extensions mobiles d’Epikt dialoguent entre elles dans un échange assez fantastique :
Citation:
“Où sont les lyres célestes et leur faux dégoulinando face à la complainte méchante des guitares ? Voilà je crois le test suprême de l’amour : les guitares. Je veux les guitares.”
“Nous essaierons de trouver quelques pousseurs de complaintes”, me dit la motte (ce porc opulent) ; “mais ce ne sera pas facile. La complainte est fuyante. Et la mélodie a tendance à s'échapper. Mais il reste quelques pousseurs de choc, nous essaierons d’en trouver.”
“Pourquoi les gens sont-ils tous différents ?” dis-je. (Mon primitivisme est sérieusement ébranlé : il commence à craquer de tous côtés.) “Pourquoi ne sont-ils pas semblables dans leur crassouillerie ?”
“Il faut beaucoup de travail pour préserver la similitude.”
“Et où sont les lunettes lavande ? Où sont les pieds nus, les barbes, les odeurs corporelles envahissantes ?”
Dans ce deuxième extrait (p. 268), Epikt extrapole la forme de l’univers à partir des données en sa possession :
Citation:
Je traitai les données de formes et de structures qui m’avaient été fournies : données standard et données conventionnelles que les gens de l’Institut recueillaient depuis des années (y compris les données originelles de Cecil Corn), données nouvelles recueillies dans une finale explosion de folie (non, pas de folie : de sagesse, de singulière sagesse) ; données irrégulières et ridicules, données sauvages d’escargots de mer et de galaxies inversées, de taches de rousseur sur un grain de silice et d’empreintes de souris fiévreuses (et d’enfants fiévreux, et d’éclairs bleus qui emportent les enfants fiévreux), données du monde machinal du fer chaud et du monde d’ondins du verre froid, données des mythiformes et des novaformes.
Les écrans multidimensionnels s’allumèrent. Les structures de formes devinrent de plus en plus perceptibles. Les personnes humaines étaient bouche bée devant ce spectacle grandiose, et moi la machine ktistèque je gémissais.
C’était là devant nos yeux dans toute sa puissance livide ! C’était passionnément présent, mais pas encore complètement perçu. C’était la structure et la forme du cosmos, authentiquement étalées dans le ventre pulsant de la transcendante machine ktistèque qui était moi. Ou bien étais-je en elle ? Où est l’endroit et où est l’envers ?
Ce livre n’est pas sans intérêt, mais pour ma part j’aurais largement pu m’en passer.
(Chroniques réalisée pour les Chroniques de l'Imaginaire). _________________ Il s’évanouit tout doucement à commencer par le bout de la queue,
et finissant par sa grimace qui demeura quelque temps après que le reste fut disparu.
Inscrit le: 27 Juin 2011 Messages: 3327 Localisation: Great North
Posté le: Dim Déc 28, 2014 12:57 am Sujet du message:
Un chef-d'oeuvre de création fractale pour ma Pomme mais je comprends qu'il en laisse en route ; à bien des égards Alice et sa suite en feraient de même s'ils n'étaient pas aussi à la mode... les mathématiciens ont de ces détours qui nous sont parfois étrangers. _________________ "Tout est dans tout et réciproquement ."
Posté le: Dim Déc 28, 2014 1:26 am Sujet du message:
Hoël a écrit:
Un chef-d'oeuvre de création fractale pour ma Pomme
Il est possible que les fans de La Horde du contrevent - dont tu fais partie - aient plus d'affinités que la moyenne avec ce roman ci. Certains auteurs aiment s'adonner à des orgies de mots et d'effets de style qui ne font pas avancer l'histoire ni les personnages d'un millimètre. Pour les uns, c'est une pure escroquerie, une stratégie de remplissage d'un auteur en panne d'inspiration. Pour les autres, ce sont de précieuses touches poétiques et la marque d'une grand talent.
Il existe des oeuvres contestées pour les mêmes raisons en peinture et au cinéma. Je ne crois qu'un camp détienne plus de vérité que l'autre. Par contre, plus la forme prend des libertés avec le fond, moins l'oeuvre est universelle.
Inscrit le: 27 Juin 2011 Messages: 3327 Localisation: Great North
Posté le: Dim Déc 28, 2014 11:05 pm Sujet du message:
Non , pas de métaphore , l'écriture comme la peinture peuvent être fractales , le roman a évolué depuis l'Astrée... et même avant... _________________ "Tout est dans tout et réciproquement ."
Inscrit le: 16 Mai 2009 Messages: 3029 Localisation: Loire
Posté le: Lun Déc 29, 2014 10:54 am Sujet du message:
A la lecture des extraits cités par Soleil, je sais désormais que je n'aime pas la création fractale
Je compatis, Soleil, ça n'a pas dû être facile de le lire jusqu'au bout _________________ On ne sait jamais ce que notre malchance nous a évité de pire. Cormac McCarthy
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