Posté le: Mar Avr 27, 2004 9:42 am Sujet du message: Le désert des tartares - Dino Buzzati
Quand j'ai commencé à lire ce livre, le style lineaire m'a marqué et je me suis dit que je n'arriverais pas au bout tellement le livre présentait peu d'action. Une caserne dans le désert, une garnison qui n'a rien à faire.Voilà le décors est plant! Arrive notre héros, si l'on peut l'appeler ainsi. Celui-ci va passer sa vie à attendre que des ennemis potentiels apparaissent dans le désert. Cette attente à quelque chose d'iréel car la plupart des soldats de cette garnison ,quel que soit leur grade, passe par cette phase d'attente . Le lieutenant Drogo, malgré la possibilite de quitter cet endroit sans avenir, préférera rester et attendre.. encore attendre ces ennemis qui tiennent plus du mirage dans cette contré déserte. Ce livre est d'une approche simple au niveau de l'écriture. Malgré le manque d'action, je n'ai trouvé aucun temps mort ou de longueur dans ce récit. Le génie de DB en fait c'est de pousser le lecteur à vouloir connaître la fin de ce livre.Un trés bon moment de lecture
Posté le: Mer Avr 28, 2004 11:31 am Sujet du message:
Entièrement d'accord avec toi, valérie, ce livre est magnifique de statisme en mouvement... Le héros par sa passivité et sa nonchalance devant l'inéluctable me fait penser au héros du livre "l'étranger " de Camus.
J'aime le désert depuis que j'ai lu ce livre... _________________ " A quoi sert d'atteindre son rêve, on risque de ne plus pouvoir rêver "....
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Posté le: Jeu Mai 27, 2004 10:11 pm Sujet du message: Le désert des tartares de Dino Buzzati
Le type même du roman qui cristallise magistralement, en une fois, et dès le départ d'une carrière tout l'univers d'un auteur. À mon avis, aucun autre roman ultérieur de Buzzati ne lui a permis de revenir à un tel niveau de qualité, ses autres grandes réussites se situant plutôt dans le domaine de la nouvelle (les recueils "le K" et "L'écroulement de la Baliverna"). Il a un talent particulier pour dissimuler le sens derrière des éléments simples dont le caractère est manifestement symbolique sans être explicite, d'où découle sans doute le pouvoir de fascination de ses meilleurs textes. J'ai eu l'occasion de lire un gros livre d'entretiens de Buzzati intitulé "Mes déserts" (chez Laffont, je crois) qui est intéressant parce qu'on y découvre que certains éléments récurrents de son oeuvre (la montagne, le désert, le déroulement rituel de certaines existences, en particulier ce qui découle du métier militaire), qu'on pourrait croire introduits de manière délibérée pour leur valeur symbolique, parce qu'ils permettent d'étayer un plan pré-établi, sont en grande partie inspirés par son existence personnelle et utilisés sans doute de manière assez intuitive. Bref, on s'aperçoit que comme il arrive souvent, la part géniale d'une oeuvre échappe en grande partie à son auteur et s'impose un peu malgré lui.
Posté le: Ven Mai 28, 2004 11:41 am Sujet du message:
Par manque de temps je n'aurai pas le temps de lire le livre dont tu parles Gauthier mais je pense que je vaispasser à côté de quelque chose.
Bon peut-être cet hiver... que j'essaierai de me le procurer.
Inscrit le: 28 Nov 2005 Messages: 13 Localisation: Clermont-Ferrand
Posté le: Sam Déc 31, 2005 7:13 pm Sujet du message:
C'est le premier livre de Dino Buzzati que je lis. Bien que connaissant l'auteur pour en avoir un peu parlé en cours d'italien, je n'avais jamais eu envie de le lire. Mais quand, en arrivant et en farfouillant sur ce forum, j'ai vu toutes les critiques plutôt positives concernant "Le Désert des Tartares", je me suis rué à ma librairie pour le lire.
Après avoir refermé le livre, un arrière-goût robuste comme un bon Zindandel me reste de la lecture. En effet, c'est un livre en grande partie pessimiste dont le sujet principal semble le temps qui passe ou encore une attente inexorable d'un petit quelque chose pour pimenter la vie (pourquoi pas un Merlot ? ). C'est une ambiance kafkaïenne que nous découvrons dans cette histoire et l'on peut facilement trouver quelques points communs entre Le Procès de Kafka et Le Désert des Tartares :
¤ Drogo, le personnage principal de Buzzati, et K., le héros du
Procès sont tout les deux dans l'attente de quelque chose : dans le premier cas, l'attaque des Tartares, dans le second, le jugement et son résultat.
¤ Les deux personnages ne sont jamais décrit en profondeur. On sait que Drogo porte un uniforme (et une barbe à la fin), et que K. a un costume.
¤ Tout comme dans Le Procès, on ressent une atmosphère oppressante, labyrinthique : peu de descriptions et, dans les lieux assez conséquents, on a l'impression d'être pris au piège.
Je pourrais continuer longtemps à faire un parallélisme entre les deux oeuvres, voire essayer d'interprêter le livre, mais je n'en ai malheureusement pas le temps. Si vous avez envie que j'en parle plus en profondeur, dites le moi mais je pense le faire prochainement, je vais mettre au point un petit compte-rendu sur papier pour ne pas vous oublier.
Néanmoins, cela reste pour moi une très bonne lecture.
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6322 Localisation: Sud
Posté le: Lun Jan 02, 2006 12:03 pm Sujet du message:
Magnifique roman, et superbe film qui en a été tiré il y a de nombreuses années (si vous avez l'occasion de le voir, n'hésitez pas !). Je plussoie avec Gauthier sur "Le K" et "L'écroulement de la Baliverna". _________________ Même le soleil se couche.
Inscrit le: 28 Nov 2005 Messages: 13 Localisation: Clermont-Ferrand
Posté le: Lun Jan 02, 2006 1:35 pm Sujet du message:
stelmari a écrit:
Magnifique roman, et superbe film qui en a été tiré il y a de nombreuses années (si vous avez l'occasion de le voir, n'hésitez pas !)
Tu viens de m'apprendre une chose ! Je ne savais pas que Le Désert des Tartares fut adapté en film. Tu peux en dire plus dessus ? Concernant la distribution ou des choses comme ca... Je vais essayer de me renseigner sur la possibilité d'une édition DVD.
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6322 Localisation: Sud
Posté le: Lun Jan 02, 2006 3:49 pm Sujet du message:
On voit que tu es jeune, toi ! Tu trouveras des infos ici : http://dvdtoile.com/Film.php?id=12880
Pour une fois qu'un cast à peu près idéal ne tourne pas à la pantalonnade, ça vaut d'être souligné. Et les paysages sont sublimes.Cela dit, je l'ai vu quasiment quand il est sorti, donc ça fait un certain temps, mais vraiment j'en ai un souvenir ébloui, comme tu peux le constater . _________________ Même le soleil se couche.
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Posté le: Lun Jan 02, 2006 7:45 pm Sujet du message:
Je te remercie pour ce lien ! Jean-Louis Trintignant & Philippe Noiret, ils ont pas prit ceux qui faisaient tache dans le cinéma français des années 70 ! Après quelques petites recherches, il n'existe pas de version DVD pour ce film, c'est vraiment dommage !
stelmari a écrit:
On voit que tu es jeune, toi !
Rho ! Pourtant, je suis assez calé niveau anciens films (j'adore ces films qui sont anciens ! Vadim, Welles Hitchcock, ça c'était du cinéma ! ) Et puis, faut bien se renseigner auprès de nos aînés !
Inscrit le: 26 Avr 2007 Messages: 840 Localisation: France
Posté le: Mer Déc 03, 2008 4:12 am Sujet du message:
Je viens de finir Le désert des Tartares (il était temps, on me l'avait offert en... 92 ! bon, je n'avais que 13 ans à l'époque, ce qui est tout de même jeune pour apprécier ce genre d'oeuvres). C'est un roman que j'ai trouvé très angoissant par la manière dont il montre une existence gâchée, enfermée dans la prison de l'habitude, les yeux fixés sur un mirage d'espoir distant pour ne pas voir la réalité. Le style est d'une grande force, à la fois pour exprimer la mécanique inutile du fort et la fascination qu'il exerce cependant sur l'imagination. Le livre ne paraît jamais vide, alors même qu'il ne s'y passe à peu près rien. L'écoulement précipité du temps est très bien suggéré par les bonds en avant et le peu d'évènements qui sortent de la routine écrasante. J'ai beaucoup apprécié les 3-4 dernières pages, qui constituent une fin tout à fait parfaite à l'histoire de Giovanni Drogo.
Inscrit le: 12 Avr 2006 Messages: 5856 Localisation: deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin...
Posté le: Mer Déc 03, 2008 8:54 am Sujet du message:
Je l'ai lu il y a longtemps.
Je me rappelle avoir aimé, je me rappelle que ça traîne en longueur et je me rappelle de la fin. Le reste a disparu dans les tréfonds de ma mémoire... _________________ Il s’évanouit tout doucement à commencer par le bout de la queue,
et finissant par sa grimace qui demeura quelque temps après que le reste fut disparu.
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6322 Localisation: Sud
Posté le: Jeu Déc 04, 2008 7:57 pm Sujet du message:
Pour une fois , je suis totalement en accord avec l'analyse de Caliban. Je suis personnellement une fanatique de ce roman.... qui à mon sens supporte parfaitement (au moins) une relecture .
En version (très) courte, il y a "Zangra", de Brel . Pas taper, je suis déjà dehors ! _________________ Même le soleil se couche.
Posté le: Dim Oct 24, 2010 10:05 pm Sujet du message:
J'avais lu le Rivage des Syrtes de Julien Gracq et m'étais copieusement ennuyé. Je partais avec l'idée qu'il allait m'arriver la même chose avec le Désert des Tartares.
Eh ben non. Ce livre est net, sobre, sans fioritures et très marquant. J'ai le sentiment qu'il réussit à être accessible et source de réflexion, même pour des lecteurs facilement ennuyables, ce qui n'est pas un petit exploit avec une histoire pareille. _________________ En cours de lecture : Le Mythe de Sisyphe, d'Albert Camus
Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Dim Oct 23, 2011 12:02 pm Sujet du message:
J'ai lu ce livre après avoir déjà lu de nombreuses nouvelles dans Le K, et j'y ai retrouvé l'univers et la plume de Buzzati, qui y gagnent peut-être encore en force par rapport aux nouvelles (ce qui n'est pas peu dire, puisqu'en général une nouvelle est plus ramassée et plus puissante qu'un texte plus long).
Dès le début, j'ai été frappé par la proximité entre l'intrigue du Désert et celle du Rivage des Syrtes de Gracq, que j'avais adoré. Dans les deux cas, le personnage principal va prendre un poste dans une forteresse frontalière délaissée où il n'y a normalement aucune chance de voir la moindre action. On peut aussi penser au Balcon en forêt du même Gracq pour l'univers militaire et l'attente (dans ce dernier roman il s'agit d'un poste dans les Cévennes en 1940 et l'atmosphère évoquée est celle de la "drôle de guerre").
Mais les différences apparaissent vite. Si, dans les deux cas, la vie du personnage principal se partage entre un quotidien assez morne et une fascination pour le paysage et de menus détails qui acquièrent vite une puissance symbolique mystérieuse, l'écriture de Buzzati est différente (plus "classique", je dirais : les paysages restent en marge de l'intrigue et ne constituent pas le corps même du texte, comme c'est le cas chez Gracq dont les personnages sont de vraies machines à percevoir le monde), et surtout Buzzati met en avant une vision du monde radicalement différente de celle de Gracq, et nettement plus sombre. Là où, chez Gracq, un personnage qui observe un paysage ou une forêt n'est pas présenté comme en train de perdre son temps, mais bien plutôt comme nouant un lien privilégié avec le monde, chez Buzzati Drogo ne fait que se laisser engluer dans une fascination dont il ne parvient pas bien à cerner l'objet : il sent le besoin impérieux d'attendre la venue de quelque chose, mais il ne parvient jamais à savoir quoi. Et dans l'intervalle le temps passe et la vieillesse approche. La fuite du temps est présentée de façon vertigineuse et (comme le dit Outremer) très angoissante : le vide de la vie et l'approche de la mort sont décrits de façon si terrible que par moments on se croirait chez Sénèque...
Et bien sûr, le dénouement du Désert des Tartares est exactement l'inverse de celui du Rivage des Syrtes, et autrement plus terrible :
Spoiler:
Dans le Rivage des Syrtes, Aldo agit réellement, il a une influence sur le cours des événements : certes, il ne l'a pas choisie et ne la contrôle pas, il a le rôle d'un catalyseur ou d'un déclencheur malgré lui, mais au moins il est présent lors du dénouement. Tous les signes qu'il a perçus s'avèrent justifiés, et l'invasion finale donne son sens à ses actions.
Chez Buzzati au contraire, le dénouement est bien plus amer et terriblement (génialement) sordide, puisque Drogo se voit privé du seul événement qui aurait pu donner enfin un sens à son attente et donc à toute sa vie. Et cependant, ce dénouement négatif est une fausse mauvaise surprise, puisqu'au tout dernier moment Drogo parvient à donner un sens à tout ce vide en se rendant compte que cette vie ratée va lui permettre de "réussir sa mort", mais sur un plan exclusivement intime, loin de toute représentation sociale - l'héroïsme intime devant la mort est l'inverse exact de l'héroïsme social du soldat qui se montre et espère la gloire après sa mort. C'est très beau, et cela achève de donner au Désert des Tartares sa portée philosophique, à la limite de l'allégorie kafkaïenne.
J'ai été frappé aussi par la grande solitude du héros dans ce roman, et par la conception cynique, voire sordide, des relations humaines que donne Buzzati. Ça ne me surprend pas par rapport aux nouvelles du K, mais c'est une pilule assez amère.
En somme, c'est un très bon roman, un tour de force narratif (tout repose sur l'attente qui paraît désespérée mais que mille petites choses viennent alimenter au fil des pages - et dans le même temps on se demande toujours si Drogo ne va pas enfin s'en aller) et une réflexion sur la condition humaine qui donne à réfléchir. Mais sur ce plan-là, je préfère quand même la vision du monde de Gracq, plus subtile et moins terriblement pessimiste...
Posté le: Sam Déc 03, 2011 2:19 pm Sujet du message:
Gracq avec Le Rivage des Syrtes ne dépassera jamais le Buzzati du Désert des Tartares parce que le génie de Gracq dans la forme ne convient pas au thème commun du Désert et des Syrtes : l'homme appartient à une destinée linéaire qui fonctionne et avance comme une horloge (la mécanique de ces rondes millimétrées des soldats du fort Bastiani, jour et nuit, dans le Désert) et contre laquelle l'homme ne peut rien sauf la commenter par tout moyen (extraordinaire conscience de cet officier qui se laisse mourir dans une tempête de neige dans le Désert). Buzzati a inscrit ce thème tellement classique dans son style unique, fluide, quasi oral parfois, c'est à dire très humain. Gracq en a fait une affaire de style qui éloigne son roman de cette estéthique de la fatalité que respecte si bien la forme simple et instinctive de Buzzati dans le Désert, comme la musique de Morricone dans l'adaptation du roman au cinéma par Zurlatti. Buzzati : l'émotion d'un thème grave. Gracq : des effets de style fabuleux mais qui isolent le fond. Le Gracq d'un Balcon en Fôret est curieusement plus pertinent. Hommage à Buzzati, l'élégance au service de la littérature classique.
Inscrit le: 19 Mar 2007 Messages: 1489 Localisation: Paris
Posté le: Mar Déc 06, 2011 12:48 am Sujet du message:
Je n'ai pas la même analyse de Gracq que toi, et je ne pense pas que les deux romans aient à ce point le même thème (en termes de réflexion de fond en tout cas) : chez Gracq, le mécanisme de la destinée est lié aux événements historiques (le narrateur agit comme un catalyste involontaire), alors que chez Buzzati, tout le roman repose sur le problème de l'écoulement du temps et de l'approche de la mort, ce qui n'est pas du tout le propos du Rivage des Syrtes. Mais ton analyse est intéressante
Et puis bon, je préfère aussi Gracq sur un plan plus subjectif, parce qu'il a une conscience de la "relation au monde" très aiguë, une attention au moment présent qui lui donne une puissance et une précision évocatrices incroyables, alors que le thème du roman de Buzzati s'enferme un peu trop dans un avertissement pas si nouveau qu'on trouve dès les stoïciens ("dès qu'on naît, on commence à mourir peu à peu"). Buzzati noircit un peu trop le tableau et enferme trop la vie dans les relations humaines, alors que Gracq s'intéresse aussi à tout ce qu'une personne peut ressentir (de façon complètement intuitive) sur le monde qui l'entoure, sur la nature, mais aussi (quel que soit le milieu) sur la "qualité d'un moment".
Posté le: Sam Déc 10, 2011 12:54 pm Sujet du message:
Tu as tout à fait raison. Mais, dans mon propos, je place les deux romans sur le terrain de l'abstraction qu'ils renferment : au-delà de leur fiction historique et des relations de leurs personnages (magnifiquement caractérisés), ce sont des paraboles, des tableaux abstraits qui représentent l'absence de faculté du destin. La puissance de son impasse. C'est en cela que Buzzati est "noir" comme tu l'évoques. Car il ne conclut jamais. Comme Gracq, il ne cherche pas à voir s'il y a dans cette impasse un chemin spirituel. Mais Buzzati n'est pas Saint Augustin, car il a écrit un roman propre à son époque littéraire, le XXème siècle. Et ni Buzzati ni Gracq ne sont Soljenitsyne car, fort heureusement pour eux mais fort malheureusement pour leurs oeuvres, ils n'ont pas connu le même destin. Cela dit, en tant que peintres de l'abstrait, Buzzati comme Gracq (et disons-le franchement Gracq est tout simplement spectaculaire, éblouissant et inatteignable dans la forme, à tel point qu'elle prend le pas sur tout) font partie des plus grands du XXème siècle, aux côtés selon moi, dans un toute autre genre de fiction, de Morand et de Proust.
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6322 Localisation: Sud
Posté le: Mer Jan 25, 2012 4:20 pm Sujet du message:
Oui, juste après ma toute récente relecture du Buzzati, c'est l'impression de noirceur qui me reste. Buzzati n'est pas tendre avec ses personnages, qui (pour schématiser grossièrement) sont des lâches et/ou des salauds. Sauf, curieusement d'une certaine façon, dans la confrontation immédiate à la mort (Angustina et Drogo).
La morale semble être qu'il est impossible de réussir sa vie (sa mort, oui, à la rigueur) pour qui s'isole de la vie, dans une vie privée du monde et des autres variés (la compétition du travail, la fréquentation des femmes et des enfants etc), et que ce n'est que justice puisque cette mise à l'écart, volontaire en fait, n'est qu'une lâcheté. Ou alors il faudrait consentir à être un salaud intégral, comme Simeoni, que son hypocrisie, son matérialisme et sa cruauté protègent de tout. D'une certaine façon, ça me fait penser au Sartre des Mains sales : Drogo aussi a "peur de se salir les mains". _________________ Même le soleil se couche.
Posté le: Dim Jan 29, 2012 11:06 am Sujet du message:
C'est tellement vrai. Buzzati pose en effet cette question fondamentale : face au destin est-il un comportement plus approprié que la lâcheté ? Celle incarnée par le fort Bastiani tout entier, qui n'est là que pour faire passer le temps d'une vie aux lâches qui se refusent à affronter les autres, au piètre prétexte de les défendre contre ce spectre d'invasion des Tartares. A cette question, la réponse du roman serait "non" selon toi ? Il me semble que Buzzati ne veut pas y répondre, mais laisse au contraire aux lecteurs le choix de la morale (ce qui est plus efficace et provocateur), comme dans beaucoup de roman du XXème, ceux de Gombrovitch par exemple. Le XXème siècle en littérature, c'est une fiction de la provocation que l'on reçoit comme une balle entre les deux yeux.
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6322 Localisation: Sud
Posté le: Dim Jan 29, 2012 1:00 pm Sujet du message:
Tudor a écrit:
Buzzati pose en effet cette question fondamentale : face au destin est-il un comportement plus approprié que la lâcheté ? Celle incarnée par le fort Bastiani tout entier, qui n'est là que pour faire passer le temps d'une vie aux lâches qui se refusent à affronter les autres, au piètre prétexte de les défendre contre ce spectre d'invasion des Tartares. A cette question, la réponse du roman serait "non" selon toi ?
Mmmm, je n'ai pas parlé de "destin", justement. S'immerger dans la vie, avec ce qu'elle comporte de relations humaines plus ou moins foireuses, d'échecs en tout genre, et de réussites souvent piètres, ne constitue pas un destin . Je dirais que la notion de "destin" est précisément le miroir aux alouettes, plus ou moins conscient, qui attire ceux qui ont peur en fait de la vie ordinaire et difficile de ceux qui "se salissent les mains".
Du coup, la question telle que tu l'énonces me pose difficulté . Ce serait plutôt : peut-on vivre sans risque de compromission ni échec, et avoir la moindre chance de réussir autre chose que sa mort ? C'est à cela que la réponse me semble négative, ce que tendrait à montrer les destins des ex-potes (ou des frères) de Drogo, et de Simeoni. _________________ Même le soleil se couche.
Posté le: Mer Mar 12, 2014 9:16 am Sujet du message:
J'ai bien aimé ce livre. Je l'ai étudié en littérature comparée (j'ai un oral dessus cet après-midi d'ailleurs) en meme temps que Le rivage des Syrtes et Sur les falaises de Marbre de Ernst Junger. Par contre, Sur les falaises, j'ai nettement moins aimé.
Celui de Buzzati reste mon préféré des trois. C'est d'ailleurs celui dont il me reste le plus de passages en mémoire.
Inscrit le: 04 Avr 2005 Messages: 6322 Localisation: Sud
Posté le: Sam Mar 15, 2014 8:31 pm Sujet du message:
Ah tiens, il faudrait que je relise le Jünger, je ne m'en souviens pas, de celui-ci :-(. D'ailleurs, il faudrait que je fasse un post sur cet auteur que j'aime énormément, et qui est injustement méconnu . _________________ Même le soleil se couche.
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